Le ruthénium fut découvert en 1844 par le chimiste russe Karl Ernst Claus (1796-1864), professeur à l'Université de Kazan. L'histoire de sa découverte est liée aux travaux antérieurs de plusieurs chimistes sur les minerais de platine de l'Oural. En 1828, le chimiste russe Gottfried Wilhelm Osann (1796-1866) avait déjà suggéré l'existence de plusieurs nouveaux éléments dans ces minerais, qu'il nomma pluranium, ruthenium et polinium, mais ses travaux manquaient de preuves concluantes.
Claus entreprit une analyse systématique des résidus insolubles laissés après dissolution du platine brut dans l'eau régale. Il réussit à isoler un nouveau métal qu'il nomma définitivement ruthénium du latin Ruthenia, nom médiéval de la Russie, rendant hommage à sa patrie. Claus publia ses résultats détaillés en 1844, établissant sans ambiguïté les propriétés du ruthénium et sa position comme quatrième membre du groupe du platine.
Le ruthénium fut le dernier des six métaux du groupe platine à être découvert, après le platine (connu depuis l'Antiquité sud-américaine), le palladium (1803), le rhodium (1803), l'osmium (1803) et l'iridium (1803). Ces six métaux (Ru, Rh, Pd, Os, Ir, Pt) partagent des propriétés chimiques similaires et se trouvent toujours associés dans les minerais naturels.
Le ruthénium (symbole Ru, numéro atomique 44) est un métal de transition du groupe 8 de la classification périodique, appartenant au groupe des métaux du platine. Son atome possède 44 protons, généralement 58 neutrons (pour l'isotope le plus abondant \(\,^{102}\mathrm{Ru}\)) et 44 électrons avec la configuration électronique [Kr] 4d⁷ 5s¹.
Le ruthénium est un métal blanc argenté brillant, dur et cassant. Il possède une densité de 12,37 g/cm³, le rendant relativement lourd, bien que ce soit le plus léger des métaux du groupe platine. Le ruthénium cristallise dans une structure hexagonale compacte (hc) à température ambiante. C'est le métal de transition le plus dur avec une dureté Mohs de 6,5, comparable à celle du quartz.
Le ruthénium fond à 2334 °C (2607 K) et bout à 4150 °C (4423 K). Ces températures élevées le classent parmi les métaux réfractaires. Le ruthénium possède un point de fusion plus élevé que le platine, le palladium et l'argent, mais inférieur à ceux de l'osmium, du rhénium et du tungstène.
Le ruthénium est remarquablement inerte chimiquement à température ambiante, résistant à pratiquement tous les acides, y compris l'eau régale qui dissout la plupart des autres métaux. Cette inertie exceptionnelle le rend précieux pour les applications nécessitant une résistance à la corrosion extrême.
Le point de fusion du ruthénium : 2607 K (2334 °C).
Le point d'ébullition du ruthénium : 4423 K (4150 °C).
Le ruthénium est le métal de transition le plus dur avec une dureté Mohs de 6,5.
| Isotope / Notation | Protons (Z) | Neutrons (N) | Masse atomique (u) | Abondance naturelle | Demi-vie / Stabilité | Désintégration / Remarques |
|---|---|---|---|---|---|---|
| Ruthénium-96 — \(\,^{96}\mathrm{Ru}\,\) | 44 | 52 | 95,907598 u | ≈ 5,54 % | Stable | Isotope stable le plus léger et le plus rare du ruthénium naturel. |
| Ruthénium-98 — \(\,^{98}\mathrm{Ru}\,\) | 44 | 54 | 97,905287 u | ≈ 1,87 % | Stable | Deuxième isotope stable le plus rare du ruthénium naturel. |
| Ruthénium-99 — \(\,^{99}\mathrm{Ru}\,\) | 44 | 55 | 98,905939 u | ≈ 12,76 % | Stable | Troisième isotope stable en abondance. Produit de transmutation du technétium-99. |
| Ruthénium-100 — \(\,^{100}\mathrm{Ru}\,\) | 44 | 56 | 99,904219 u | ≈ 12,60 % | Stable | Quatrième isotope stable en abondance du ruthénium naturel. |
| Ruthénium-101 — \(\,^{101}\mathrm{Ru}\,\) | 44 | 57 | 100,905582 u | ≈ 17,06 % | Stable | Deuxième isotope le plus abondant du ruthénium naturel. |
| Ruthénium-102 — \(\,^{102}\mathrm{Ru}\,\) | 44 | 58 | 101,904349 u | ≈ 31,55 % | Stable | Isotope le plus abondant du ruthénium, représentant près d'un tiers du total. |
| Ruthénium-104 — \(\,^{104}\mathrm{Ru}\,\) | 44 | 60 | 103,905433 u | ≈ 18,62 % | Stable | Troisième isotope le plus abondant du ruthénium naturel. |
| Ruthénium-106 — \(\,^{106}\mathrm{Ru}\,\) | 44 | 62 | 105,907329 u | Synthétique | ≈ 373,6 jours | Radioactif (β⁻). Produit de fission important. Utilisé comme source de rayonnement bêta en ophtalmologie. |
N.B. :
Couches électroniques : Comment les électrons sont organisés autour du noyau.
Le ruthénium possède 44 électrons répartis sur cinq couches électroniques. Sa configuration électronique complète est : 1s² 2s² 2p⁶ 3s² 3p⁶ 3d¹⁰ 4s² 4p⁶ 4d⁷ 5s¹, ou de manière simplifiée : [Kr] 4d⁷ 5s¹. Cette configuration peut également s'écrire : K(2) L(8) M(18) N(15) O(1).
Couche K (n=1) : contient 2 électrons dans la sous-couche 1s. Cette couche interne est complète et très stable.
Couche L (n=2) : contient 8 électrons répartis en 2s² 2p⁶. Cette couche est également complète, formant une configuration de gaz noble (néon).
Couche M (n=3) : contient 18 électrons répartis en 3s² 3p⁶ 3d¹⁰. Cette couche complète contribue à l'écran électronique.
Couche N (n=4) : contient 15 électrons répartis en 4s² 4p⁶ 4d⁷. Les sept électrons 4d sont des électrons de valence.
Couche O (n=5) : contient 1 électron dans la sous-couche 5s. Cet électron est également un électron de valence.
Le ruthénium possède 8 électrons de valence : sept électrons 4d⁷ et un électron 5s¹. Le ruthénium présente une grande variété d'états d'oxydation de -2 à +8, bien que les états +2, +3 et +4 soient les plus courants. L'état +8 dans le tétroxyde de ruthénium (RuO₄) est le plus élevé de tous les éléments après l'osmium.
L'état d'oxydation +3 est particulièrement stable en solution aqueuse, formant divers complexes de ruthénium(III). L'état +4 apparaît dans le dioxyde de ruthénium (RuO₂), un oxyde conducteur noir utilisé en électronique. Le tétroxyde de ruthénium (RuO₄), état +8, est un composé volatil jaune-or, puissant oxydant et toxique, similaire au tétroxyde d'osmium.
Le ruthénium est l'un des métaux les plus inertes chimiquement. À température ambiante, il est pratiquement inattaquable par tous les acides, y compris l'eau régale, l'acide sulfurique concentré et l'acide nitrique. Cette résistance exceptionnelle est due à une couche d'oxyde protectrice très stable qui se forme spontanément à la surface du métal.
Le ruthénium commence à s'oxyder de manière significative au-dessus de 800 °C à l'air, formant du dioxyde de ruthénium (RuO₂). À des températures encore plus élevées en présence d'oxygène ou d'oxydants puissants, il peut former le tétroxyde de ruthénium volatil (RuO₄) : Ru + 2O₂ → RuO₄. Le tétroxyde se sublime facilement et dégage une odeur âcre caractéristique.
Le ruthénium peut être dissous par fusion avec des hydroxydes alcalins en présence d'oxydants, formant des ruthénates. Le chlore gazeux à haute température attaque également le ruthénium, formant du trichlorure de ruthénium (RuCl₃), un composé brun-noir hygroscopique largement utilisé comme précurseur pour la synthèse de complexes de ruthénium.
Le ruthénium forme une chimie de coordination extrêmement riche avec pratiquement tous les types de ligands. Les complexes de ruthénium présentent une grande variété de structures et de propriétés électroniques, exploitées en catalyse, photochimie et médecine. Le ruthénium forme également des composés organométalliques avec des ligands cyclopentadiényle, arène et carbonyle.
Le ruthénium joue un rôle majeur en catalyse homogène moderne. En 2005, le prix Nobel de chimie fut décerné à Yves Chauvin, Robert H. Grubbs et Richard R. Schrock pour le développement de la métathèse des oléfines, une réaction chimique révolutionnaire permettant de réorganiser les liaisons doubles carbone-carbone dans les molécules organiques.
Les catalyseurs de Grubbs, basés sur des complexes de ruthénium avec des ligands carbène, ont révolutionné la synthèse organique. Ces catalyseurs au ruthénium sont remarquablement stables, tolèrent une grande variété de groupes fonctionnels, fonctionnent à température ambiante, et sont compatibles avec l'air et l'humidité. Les catalyseurs de Grubbs de première et deuxième génération sont aujourd'hui des outils standards dans les laboratoires de chimie organique du monde entier.
La métathèse catalysée par le ruthénium est utilisée massivement dans l'industrie pharmaceutique pour synthétiser des molécules complexes, dans l'industrie des polymères pour produire des matériaux avancés, et en chimie verte pour développer des procédés plus efficaces et moins polluants. Cette découverte illustre comment un métal rare peut avoir un impact considérable sur la chimie et l'industrie modernes.
Les complexes de ruthénium suscitent un intérêt croissant en médecine, particulièrement comme agents anticancéreux alternatifs au cisplatine. Contrairement au platine, le ruthénium présente une toxicité systémique plus faible et des mécanismes d'action différents, potentiellement capables de surmonter les résistances développées contre les drogues à base de platine.
Plusieurs composés de ruthénium ont atteint les phases d'essais cliniques chez l'homme. Le NAMI-A (imidazolium trans-imidazole-diméthylsulfoxyde-tétrachlororuthénate) et le KP1019 (indazolium trans-tétrachlorobis(1H-indazole)ruthénate(III)) ont montré des résultats prometteurs contre les métastases et certains cancers résistants. Ces complexes exploitent les multiples états d'oxydation du ruthénium et sa capacité à former des liaisons avec l'ADN et les protéines.
Les complexes de ruthénium polypyridine sont également étudiés pour la thérapie photodynamique du cancer. Ces composés absorbent la lumière visible et génèrent des espèces réactives de l'oxygène qui tuent sélectivement les cellules tumorales. Cette approche combine chimie de coordination, photochimie et oncologie, illustrant les applications biomédicales multidisciplinaires du ruthénium.
Le ruthénium est synthétisé dans les étoiles principalement par le processus s (capture lente de neutrons) dans les étoiles de la branche asymptotique des géantes (AGB), avec des contributions du processus r (capture rapide de neutrons) lors de supernovae et de fusions d'étoiles à neutrons. Les sept isotopes stables du ruthénium reflètent les contributions de ces différents processus de nucléosynthèse.
L'abondance cosmique du ruthénium est d'environ 1,8×10⁻⁹ fois celle de l'hydrogène en nombre d'atomes. Cette abondance relativement élevée pour un métal du groupe platine s'explique par sa position favorable dans la courbe de stabilité nucléaire et par des sections efficaces de capture neutronique favorables dans les processus s et r.
Les variations isotopiques du ruthénium dans les météorites primitives fournissent des informations précieuses sur l'hétérogénéité du système solaire primitif et les contributions relatives des processus s et r. Certaines météorites montrent des excès en isotopes riches en neutrons du ruthénium (Ru-100, Ru-104), suggérant des apports variables de matériaux des processus s et r dans différentes régions de la nébuleuse solaire.
Les raies spectrales du ruthénium neutre (Ru I) et ionisé (Ru II) sont observables dans les spectres de nombreuses étoiles froides et d'étoiles géantes. L'analyse de ces raies permet de déterminer l'abondance du ruthénium et de tracer l'enrichissement chimique des galaxies. Des excès en ruthénium ont été détectés dans certaines étoiles carbonées enrichies en éléments du processus s.
N.B. :
Le ruthénium est extrêmement rare dans la croûte terrestre avec une concentration moyenne d'environ 0,001 ppm (1 partie par milliard), soit environ 1000 fois plus rare que l'or. Il ne forme pas de minerais propres mais se trouve toujours associé aux autres métaux du groupe platine dans les minerais de platine natif et les dépôts alluviaux dérivés de roches ultrabasiques.
Les principaux gisements de ruthénium se trouvent en Afrique du Sud (complexe du Bushveld, environ 80% des réserves mondiales), en Russie (monts Oural et Sibérie), au Canada (Sudbury), aux États-Unis (Montana) et au Zimbabwe. La production mondiale de ruthénium est d'environ 30 à 40 tonnes par an, principalement comme sous-produit du raffinage du nickel et du platine.
Le ruthénium est extrait des concentrés de métaux du groupe platine par des procédés hydrométallurgiques complexes impliquant dissolution dans l'eau régale, séparation par précipitation sélective ou extraction liquide-liquide, et purification finale par distillation du tétroxyde de ruthénium (RuO₄). Le prix du ruthénium varie fortement selon la demande industrielle, oscillant typiquement entre 200 et 500 dollars par once troy (31,1 grammes), soit environ 6000 à 15000 dollars par kilogramme, bien moins cher que le platine, le palladium ou le rhodium.