Le technétium occupe une place unique dans l'histoire de la chimie en tant que premier élément entièrement artificiel synthétisé par l'humanité. Pendant des décennies, l'élément 43 restait introuvable, laissant une case vide dans la classification périodique de Mendeleev entre le molybdène (42) et le ruthénium (44). De nombreux chimistes prétendirent l'avoir découvert, proposant des noms comme masurium ou lucium, mais aucune de ces annonces ne put être confirmée.
La véritable découverte survint en 1937 lorsque les physiciens italiens Carlo Perrier (1886-1948) et Emilio Segrè (1905-1989) analysèrent une feuille de molybdène irradiée par deutérons dans le cyclotron de Berkeley, en Californie. Ernest Lawrence, inventeur du cyclotron et futur prix Nobel de physique, leur avait envoyé cet échantillon. Perrier et Segrè réussirent à isoler et identifier l'élément 43, résolvant ainsi le mystère de la case vide.
Le nom technétium fut choisi en 1947 par Perrier et Segrè, dérivé du grec technetos signifiant artificiel, soulignant sa nature unique d'élément n'existant pas naturellement sur Terre en quantités détectables. Cette découverte marqua un tournant dans la compréhension de la stabilité nucléaire et ouvrit l'ère des éléments transuraniens et synthétiques.
Il est désormais établi que le technétium n'existe pas naturellement sur Terre car tous ses isotopes sont radioactifs, avec l'isotope le plus stable (technétium-98) ayant une demi-vie de seulement 4,2 millions d'années. Ce délai est bien trop court à l'échelle géologique : tout le technétium présent lors de la formation de la Terre il y a 4,5 milliards d'années s'est depuis longtemps désintégré. Cependant, le technétium existe naturellement dans l'univers, synthétisé continuellement dans les étoiles.
Le technétium (symbole Tc, numéro atomique 43) est un métal de transition du groupe 7 de la classification périodique. Son atome possède 43 protons et 43 électrons avec la configuration électronique [Kr] 4d⁵ 5s². Le nombre de neutrons varie selon l'isotope, le technétium ne possédant aucun isotope stable.
Le technétium métallique est un métal gris argenté brillant avec une apparence similaire au platine. Il possède une densité de 11,5 g/cm³, le rendant relativement lourd. Le technétium cristallise dans une structure hexagonale compacte (hc) à température ambiante. C'est un métal légèrement paramagnétique, propriété rare pour un métal de transition.
Le technétium fond à 2157 °C (2430 K) et bout à 4265 °C (4538 K). Ces températures élevées le classent parmi les métaux réfractaires. Le technétium est un supraconducteur avec une température critique de 7,8 K (-265,35 °C), température relativement élevée pour un élément métallique pur.
Tous les isotopes du technétium sont radioactifs. L'isotope le plus stable, le technétium-98, a une demi-vie de 4,2 millions d'années. Le technétium-99, produit de fission majeur, a une demi-vie de 211 000 ans. L'isotope médical technétium-99m (état métastable) a une demi-vie de seulement 6,01 heures, idéale pour l'imagerie diagnostique.
Le point de fusion du technétium : 2430 K (2157 °C).
Le point d'ébullition du technétium : 4538 K (4265 °C).
Le technétium est le plus léger des éléments sans isotope stable.
| Isotope / Notation | Protons (Z) | Neutrons (N) | Masse atomique (u) | Abondance naturelle | Demi-vie / Stabilité | Désintégration / Remarques |
|---|---|---|---|---|---|---|
| Technétium-97 — \(\,^{97}\mathrm{Tc}\,\) | 43 | 54 | 96,906365 u | Synthétique | ≈ 4,21 × 10⁶ ans | Radioactif (capture électronique). Isotope avec la plus longue demi-vie après Tc-98. |
| Technétium-98 — \(\,^{98}\mathrm{Tc}\,\) | 43 | 55 | 97,907216 u | Synthétique | ≈ 4,2 × 10⁶ ans | Radioactif (β⁻). Isotope le plus stable du technétium, mais demi-vie courte à l'échelle géologique. |
| Technétium-99 — \(\,^{99}\mathrm{Tc}\,\) | 43 | 56 | 98,906255 u | Synthétique | ≈ 2,111 × 10⁵ ans | Radioactif (β⁻). Produit de fission majeur. Déchet nucléaire à vie longue problématique. |
| Technétium-99m — \(\,^{99m}\mathrm{Tc}\,\) | 43 | 56 | 98,906254 u | Synthétique | ≈ 6,01 heures | Radioactif (transition isomérique, γ). État métastable du Tc-99. Radio-isotope le plus utilisé en médecine nucléaire. |
| Technétium-95m — \(\,^{95m}\mathrm{Tc}\,\) | 43 | 52 | 94,907657 u | Synthétique | ≈ 61 jours | Radioactif (capture électronique). Utilisé en recherche médicale et comme traceur. |
N.B. :
Couches électroniques : Comment les électrons sont organisés autour du noyau.
Le technétium possède 43 électrons répartis sur cinq couches électroniques. Sa configuration électronique complète est : 1s² 2s² 2p⁶ 3s² 3p⁶ 3d¹⁰ 4s² 4p⁶ 4d⁵ 5s², ou de manière simplifiée : [Kr] 4d⁵ 5s². Cette configuration peut également s'écrire : K(2) L(8) M(18) N(13) O(2).
Couche K (n=1) : contient 2 électrons dans la sous-couche 1s. Cette couche interne est complète et très stable.
Couche L (n=2) : contient 8 électrons répartis en 2s² 2p⁶. Cette couche est également complète, formant une configuration de gaz noble (néon).
Couche M (n=3) : contient 18 électrons répartis en 3s² 3p⁶ 3d¹⁰. Cette couche complète contribue à l'écran électronique.
Couche N (n=4) : contient 13 électrons répartis en 4s² 4p⁶ 4d⁵. Les cinq électrons 4d sont des électrons de valence.
Couche O (n=5) : contient 2 électrons dans la sous-couche 5s. Ces électrons sont également des électrons de valence.
Le technétium possède 7 électrons de valence : cinq électrons 4d⁵ et deux électrons 5s². La configuration [Kr] 4d⁵ 5s² avec la sous-couche 4d à demi-remplie est stable. Le technétium présente une grande variété d'états d'oxydation de -1 à +7, bien que les états +4, +5, +6 et +7 soient les plus courants.
L'état d'oxydation +7 apparaît dans le pertechnétate (TcO₄⁻), l'ion le plus stable et le plus commun du technétium en solution aqueuse. L'état +4 est présent dans le dioxyde de technétium (TcO₂) et dans de nombreux complexes utilisés en médecine nucléaire. Les états d'oxydation variables du technétium permettent de former une chimie riche et complexe, particulièrement utile pour les applications médicales.
Le technétium métallique est relativement résistant à l'oxydation à température ambiante grâce à une fine couche d'oxyde protectrice. Il ne ternit que lentement à l'air humide. Cependant, à haute température (au-dessus de 400 °C), le technétium brûle dans l'oxygène pour former l'heptoxyde de technétium (Tc₂O₇), un composé jaune volatil : 4Tc + 7O₂ → 2Tc₂O₇.
Le technétium se dissout dans l'acide nitrique, l'eau régale et l'acide sulfurique concentré pour former des solutions d'ion pertechnétate (TcO₄⁻), mais résiste à l'acide chlorhydrique et à l'acide fluorhydrique. En solution, le pertechnétate est remarquablement stable chimiquement et ne précipite pas facilement, ce qui pose des défis pour la gestion des déchets nucléaires contenant du technétium-99.
Le technétium forme des composés avec pratiquement tous les non-métaux. Avec les halogènes, il forme divers halogénures (TcF₆, TcCl₄, TcBr₄). Avec le soufre, il forme des sulfures, et le disulfure de technétium (TcS₂) a une structure similaire au disulfure de molybdène. Le technétium forme également une chimie organométallique riche avec des ligands carbonyles, phosphines et autres ligands organiques.
Le technétium-99m (Tc-99m) est le radio-isotope le plus important en médecine nucléaire moderne, utilisé dans plus de 40 millions de procédures d'imagerie diagnostique chaque année dans le monde, représentant environ 80% de tous les examens de médecine nucléaire. Ses propriétés sont presque idéales pour l'imagerie médicale.
Le Tc-99m possède une demi-vie de 6,01 heures, suffisamment longue pour permettre la préparation, le transport et l'administration des radio-pharmaceutiques, mais suffisamment courte pour minimiser l'exposition aux radiations du patient. Il émet des rayons gamma de 140 keV, une énergie optimale pour la détection par les gamma-caméras tout en pénétrant facilement les tissus. Surtout, le Tc-99m se désintègre par transition isomérique pure, sans émission de particules β qui causeraient des dommages tissulaires.
Le Tc-99m est produit à partir du molybdène-99 (Mo-99, demi-vie 66 heures) dans des générateurs de technétium, couramment appelés "vaches à molybdène". Ces générateurs contiennent du Mo-99 adsorbé sur une colonne d'alumine. Le Mo-99 se désintègre continuellement en Tc-99m, qui peut être élué de la colonne avec une solution saline. Un générateur peut être utilisé pendant environ une semaine avant que l'activité du Mo-99 ne devienne trop faible.
Le Tc-99m est incorporé dans divers radio-pharmaceutiques ciblant différents organes et processus physiologiques : scintigraphies osseuses (détection de fractures, métastases), scintigraphies cardiaques (perfusion myocardique), scintigraphies cérébrales, rénales, pulmonaires, thyroïdiennes et hépatiques. La chimie versatile du technétium permet de synthétiser des complexes spécifiques pour chaque application.
Le technétium-99 (Tc-99), isotope à longue période (211 000 ans), est l'un des produits de fission les plus problématiques dans les déchets nucléaires. Il est produit avec un rendement de fission élevé (environ 6%) lors de la fission de l'uranium-235 et du plutonium-239. Chaque tonne de combustible nucléaire usé contient environ 0,5 à 1 kg de Tc-99.
La gestion du Tc-99 dans les déchets nucléaires est particulièrement difficile. L'ion pertechnétate (TcO₄⁻), forme chimique stable du Tc-99 en solution, est très soluble et mobile dans l'environnement. Il ne s'adsorbe pas sur les sols et peut migrer sur de longues distances dans les eaux souterraines, posant un risque de contamination à long terme. Le Tc-99 émetteur β de faible énergie s'accumule dans la chaîne alimentaire, particulièrement dans les fruits de mer.
Plusieurs stratégies sont étudiées pour immobiliser le Tc-99 dans les déchets nucléaires : incorporation dans des verres borosilicatés, synthèse de composés de technétium insolubles, transmutation nucléaire du Tc-99 en ruthénium-100 stable par irradiation neutronique. La séparation et transmutation du technétium pourrait réduire significativement la radiotoxicité à long terme des déchets nucléaires.
Bien que le technétium n'existe pas naturellement sur Terre, il est synthétisé continuellement dans certaines étoiles par le processus s (capture lente de neutrons). La détection spectroscopique du technétium dans les atmosphères d'étoiles de type S et de certaines étoiles carbonées en 1952 par Paul Merrill constitua une découverte majeure en astrophysique, fournissant la première preuve directe que la nucléosynthèse se produit activement dans les étoiles.
La présence de technétium dans une étoile indique nécessairement une nucléosynthèse récente (à l'échelle astronomique), car même l'isotope le plus stable (Tc-98, demi-vie 4,2 millions d'années) se désintègre rapidement comparé à l'âge des étoiles. Le technétium observé doit donc avoir été synthétisé récemment dans l'étoile elle-même et transporté à sa surface par des processus de convection.
Les étoiles montrant des raies de technétium sont typiquement des étoiles de la branche asymptotique des géantes (AGB), où le processus s produit activement des éléments lourds dans une coquille brûlant l'hélium. La détection de technétium confirme que ces étoiles sont les sites principaux du processus s et enrichissent le milieu interstellaire en éléments lourds via leurs vents stellaires puissants.
L'analyse quantitative des raies spectrales du technétium dans les étoiles permet de contraindre les modèles de nucléosynthèse stellaire, notamment les taux de réactions nucléaires et les processus de transport convectif dans les intérieurs stellaires. Les observations du technétium dans les étoiles binaires symbiotiques et les novae fournissent également des informations sur la nucléosynthèse dans ces environnements exotiques.
N.B. :
Le technétium n'existe pas naturellement sur Terre en quantités mesurables. Tout le technétium utilisé est produit artificiellement. Le molybdène-99, précurseur du technétium-99m médical, est produit par fission de l'uranium-235 dans des réacteurs nucléaires spécialisés. Seulement cinq réacteurs dans le monde produisent la majorité du Mo-99 mondial, créant une situation de vulnérabilité d'approvisionnement.
La production mondiale de Mo-99 est d'environ 12 000 TBq (térabecquerels) par semaine. Les principaux producteurs sont situés aux Pays-Bas, en Belgique, au Canada, en Afrique du Sud et en Australie. Le vieillissement de ces réacteurs et les fermetures programmées créent une crise d'approvisionnement potentielle pour la médecine nucléaire mondiale, stimulant la recherche de méthodes alternatives de production (accélérateurs de particules, réacteurs à flux rapide).
Le technétium métallique pur est produit en quantités infimes pour la recherche, principalement par réduction de composés de technétium avec de l'hydrogène à haute température. En raison de sa radioactivité et de sa rareté, le technétium métallique n'a aucune application commerciale significative. Tout le technétium produit est destiné à la médecine nucléaire sous forme de Tc-99m ou constitue un déchet nucléaire indésirable sous forme de Tc-99.