Le krypton fut découvert le 30 mai 1898 par les chimistes britanniques William Ramsay (1852-1916) et Morris Travers (1872-1961) à l'University College de Londres. Cette découverte s'inscrivait dans une série remarquable d'identification de gaz nobles par Ramsay, qui avait déjà découvert l'argon en 1894 avec Lord Rayleigh, puis l'hélium terrestre en 1895.
Ramsay et Travers recherchaient systématiquement de nouveaux éléments dans l'air atmosphérique en utilisant la technique de distillation fractionnée de l'air liquide. Après avoir isolé l'argon, ils soupçonnaient l'existence d'autres gaz inertes dans l'atmosphère. En évaporant lentement de l'air liquide et en analysant les différentes fractions par spectroscopie, ils découvrirent d'abord le néon et le krypton en mai 1898, puis le xénon quelques semaines plus tard.
Le krypton fut identifié grâce à son spectre d'émission caractéristique, montrant des raies brillantes vertes et jaunes orangées particulièrement intenses. Ramsay et Travers choisirent le nom krypton du grec kryptos signifiant caché, en référence à la difficulté de le détecter dans l'atmosphère terrestre où il ne représente que 1 partie par million en volume.
La découverte du krypton, ainsi que celle du néon et du xénon, compléta le groupe des gaz nobles dans la classification périodique de Mendeleev et confirma la périodicité des propriétés chimiques. William Ramsay reçut le prix Nobel de chimie en 1904 pour ses travaux sur les gaz nobles, notamment la découverte de l'argon, de l'hélium, du néon, du krypton et du xénon.
En 1960, le krypton acquit une importance métrologique fondamentale lorsque la longueur d'onde de la raie orange du krypton-86 fut choisie comme nouvelle définition du mètre, remplaçant la barre de platine iridié du Bureau international des poids et mesures. Cette définition resta en vigueur jusqu'en 1983, date à laquelle le mètre fut redéfini en fonction de la vitesse de la lumière.
Le krypton (symbole Kr, numéro atomique 36) est un gaz noble du groupe 18 de la classification périodique. Son atome possède 36 protons, généralement 48 neutrons (pour l'isotope le plus abondant \(\,^{84}\mathrm{Kr}\)) et 36 électrons avec la configuration électronique [Ar] 3d¹⁰ 4s² 4p⁶.
Le krypton est un gaz monoatomique incolore, inodore et insipide dans des conditions normales. Il est environ trois fois plus dense que l'air, avec une densité de 3,749 g/L à 0 °C et 1 atmosphère. Cette densité élevée le rend plus lourd que la plupart des gaz atmosphériques courants.
Comme tous les gaz nobles, le krypton possède une couche électronique externe complètement remplie (configuration en octet stable), ce qui lui confère une stabilité chimique exceptionnelle et une réactivité quasi nulle dans des conditions normales. Cette structure électronique saturée explique pourquoi le krypton existe naturellement sous forme d'atomes isolés plutôt que de molécules.
Le krypton se liquéfie à -153,4 °C (119,8 K) sous pression atmosphérique normale et se solidifie à -157,4 °C (115,8 K). Le krypton liquide est incolore et transparent, tandis que le krypton solide forme des cristaux de structure cubique à faces centrées, caractéristique des gaz nobles solidifiés.
Le point de liquéfaction du krypton : 119,8 K (-153,4 °C).
Le point de solidification du krypton : 115,8 K (-157,4 °C).
Le point critique du krypton : 209,4 K (-63,8 °C) à 55,0 bar.
| Isotope / Notation | Protons (Z) | Neutrons (N) | Masse atomique (u) | Abondance naturelle | Demi-vie / Stabilité | Désintégration / Remarques |
|---|---|---|---|---|---|---|
| Krypton-78 — \(\,^{78}\mathrm{Kr}\,\) | 36 | 42 | 77,920365 u | ≈ 0,355 % | Stable | Isotope stable le plus léger du krypton naturel, le plus rare des isotopes stables. |
| Krypton-80 — \(\,^{80}\mathrm{Kr}\,\) | 36 | 44 | 79,916378 u | ≈ 2,286 % | Stable | Deuxième isotope stable le plus rare du krypton naturel. |
| Krypton-82 — \(\,^{82}\mathrm{Kr}\,\) | 36 | 46 | 81,913484 u | ≈ 11,593 % | Stable | Troisième isotope stable en abondance du krypton naturel. |
| Krypton-83 — \(\,^{83}\mathrm{Kr}\,\) | 36 | 47 | 82,914136 u | ≈ 11,500 % | Stable | Possède un spin nucléaire utilisé en spectroscopie RMN et en imagerie médicale. |
| Krypton-84 — \(\,^{84}\mathrm{Kr}\,\) | 36 | 48 | 83,911507 u | ≈ 56,987 % | Stable | Isotope le plus abondant du krypton, représentant plus de la moitié du krypton naturel. |
| Krypton-86 — \(\,^{86}\mathrm{Kr}\,\) | 36 | 50 | 85,910610 u | ≈ 17,279 % | Stable | Utilisé historiquement (1960-1983) pour définir le mètre via sa raie d'émission orange. |
| Krypton-81 — \(\,^{81}\mathrm{Kr}\,\) | 36 | 45 | 80,916592 u | Traces | ≈ 229 000 ans | Radioactif (capture électronique). Produit par rayons cosmiques, utilisé pour dater les eaux souterraines anciennes. |
| Krypton-85 — \(\,^{85}\mathrm{Kr}\,\) | 36 | 49 | 84,912527 u | Synthétique | ≈ 10,76 ans | Radioactif (β⁻). Produit de fission nucléaire, utilisé comme traceur et dans les détecteurs de fuites. |
N.B. :
Couches électroniques : Comment les électrons sont organisés autour du noyau.
Le krypton possède 36 électrons répartis sur quatre couches électroniques. Sa configuration électronique complète est : 1s² 2s² 2p⁶ 3s² 3p⁶ 3d¹⁰ 4s² 4p⁶, ou de manière simplifiée : [Ar] 3d¹⁰ 4s² 4p⁶. Cette configuration peut également s'écrire : K(2) L(8) M(18) N(8).
Couche K (n=1) : contient 2 électrons dans la sous-couche 1s. Cette couche interne est complète et très stable.
Couche L (n=2) : contient 8 électrons répartis en 2s² 2p⁶. Cette couche est également complète, formant une configuration de gaz noble (néon).
Couche M (n=3) : contient 18 électrons répartis en 3s² 3p⁶ 3d¹⁰. Cette couche est complètement remplie, incluant la sous-couche d complète.
Couche N (n=4) : contient 8 électrons répartis en 4s² 4p⁶. Cette couche externe complète confère au krypton sa stabilité exceptionnelle.
La configuration électronique du krypton avec sa couche de valence complètement saturée (octet complet) explique son inertie chimique remarquable. Pendant longtemps, les gaz nobles furent considérés comme totalement inertes et incapables de former des composés chimiques.
Cependant, en 1962, le chimiste britannique Neil Bartlett bouleversa cette conception en synthétisant le premier composé du xénon. Cette découverte ouvrit la voie à la chimie des gaz nobles lourds. Bien que le krypton soit moins réactif que le xénon en raison de son énergie d'ionisation plus élevée, quelques composés du krypton ont été synthétisés dans des conditions extrêmes.
Le difluorure de krypton (KrF₂) fut le premier composé stable du krypton synthétisé, en 1963. Ce solide blanc se forme par irradiation d'un mélange de krypton et de fluor à basse température. KrF₂ est un oxydant extrêmement puissant mais reste instable à température ambiante, se décomposant lentement en krypton et fluor.
D'autres composés comme les ions KrF⁺ et Kr₂F₃⁺ ont été caractérisés, ainsi que des clathrates où des molécules de krypton sont physiquement piégées dans des cages de molécules d'eau (hydrates de krypton) ou d'autres structures hôtes. Ces clathrates ne sont pas de véritables composés chimiques mais des complexes d'inclusion maintenus par des forces de Van der Waals.
Le krypton peut également former des composés métastables avec l'hydrogène et l'azote sous décharge électrique ou irradiation, mais ces espèces sont extrêmement instables et n'existent qu'à très basse température ou pendant des durées très courtes.
Le krypton présente un spectre d'émission particulièrement riche et complexe lorsqu'il est excité par une décharge électrique. Son spectre caractéristique comprend de nombreuses raies dans le visible, notamment des raies vertes intenses (557,0 nm), des raies jaune-vert (587,1 nm) et des raies orange (605,6 nm et 645,6 nm).
La raie orange du krypton-86 à 605,78 nm (transition entre les niveaux 2p10 et 5d5) possède une largeur spectrale exceptionnellement étroite, ce qui en fit le choix idéal pour la définition du mètre de 1960 à 1983. Un mètre était défini comme 1 650 763,73 longueurs d'onde de cette radiation dans le vide, une définition d'une précision alors inégalée.
Lorsqu'il est excité, le krypton émet une lumière blanche brillante avec une forte composante verte, produisant un éclairage de haute qualité avec un excellent rendu des couleurs. Cette propriété est exploitée dans les lampes à décharge au krypton utilisées pour l'éclairage professionnel, la photographie et les projecteurs.
Le krypton participe également à des phénomènes de fluorescence et de phosphorescence dans certains matériaux dopés. Les composés de krypton excimères (dimères excités Kr₂*) émettent dans l'ultraviolet et sont utilisés dans certains lasers excimères pour la lithographie et la chirurgie oculaire.
Le krypton est synthétisé dans les étoiles par plusieurs processus de nucléosynthèse stellaire. Les isotopes de krypton sont principalement produits lors de la combustion du silicium dans les supernovae de type II, ainsi que par les processus s (capture lente de neutrons) et r (capture rapide de neutrons). Les six isotopes stables du krypton reflètent les contributions de ces différents processus nucléosynthétiques.
L'abondance cosmique du krypton est d'environ 5×10⁻⁹ fois celle de l'hydrogène en nombre d'atomes, ce qui en fait l'un des gaz nobles les plus rares après le xénon. Cette rareté relative s'explique par les difficultés de synthèse des noyaux dans cette région de masse atomique (A ≈ 78-86) et par la position du krypton au-delà du pic de fer dans la courbe de stabilité nucléaire.
Le krypton joue un rôle important dans l'étude de la nucléosynthèse et de l'évolution chimique de l'univers. Les rapports isotopiques du krypton dans les météorites primitives, les grains préscolaires et les gaz nobles piégés dans les minéraux fournissent des informations précieuses sur les conditions régnant dans le système solaire primitif et sur les différentes populations stellaires ayant contribué à sa formation.
Des anomalies isotopiques en krypton ont été découvertes dans certaines inclusions réfractaires des météorites, suggérant la présence de composants formés dans des environnements stellaires distincts avant l'effondrement de la nébuleuse solaire. L'isotope krypton-81, produit par les rayons cosmiques, est utilisé pour dater les événements d'exposition cosmique des météorites et pour tracer leur histoire dans l'espace interplanétaire.
Les raies spectrales du krypton ionisé (Kr II, Kr III, Kr IV) ont été observées dans les spectres de certaines étoiles chaudes de type B et A, ainsi que dans les nébuleuses planétaires et les remnants de supernovae. L'analyse de ces raies permet d'étudier les conditions physiques (température, densité, ionisation) de ces objets astrophysiques.
Le krypton atmosphérique terrestre présente une composition isotopique distinctive qui diffère légèrement de celle trouvée dans les météorites, reflétant l'évolution complexe de l'atmosphère terrestre au cours des âges géologiques, incluant le dégazage du manteau terrestre, les impacts de comètes et d'astéroïdes, et les processus d'échappement atmosphérique.
N.B. :
Le krypton est présent dans l'atmosphère terrestre à une concentration d'environ 1,14 partie par million en volume (1,14 ppm ou 0,000114%), ce qui en fait l'un des gaz rares atmosphériques. Cette concentration apparemment faible représente néanmoins environ 15 milliards de tonnes de krypton dans l'ensemble de l'atmosphère terrestre.
Le krypton est extrait industriellement par distillation fractionnée de l'air liquide, un procédé développé au début du 20ᵉ siècle. L'air est d'abord liquéfié par compression et refroidissement, puis les différents composants sont séparés selon leurs points d'ébullition. Le krypton, avec son point d'ébullition intermédiaire entre l'oxygène et le xénon, est isolé dans une fraction enrichie puis purifié davantage.
La production mondiale de krypton est relativement modeste, environ 8 à 10 tonnes par an, principalement en Ukraine, en Pologne, aux États-Unis, en Islande et en Chine. Le krypton est l'un des gaz industriels les plus coûteux en raison de sa rareté atmosphérique et du processus complexe nécessaire à son extraction et sa purification. Le prix du krypton de haute pureté peut atteindre plusieurs milliers d'euros par kilogramme.
Le krypton-85, isotope radioactif produit par la fission nucléaire dans les réacteurs, s'accumule progressivement dans l'atmosphère terrestre depuis le début de l'ère nucléaire. Sa concentration atmosphérique a été multipliée par plus de 100 depuis 1950, bien qu'elle reste extrêmement faible (environ 1,5 Bq/m³). Le krypton-85 est principalement libéré lors du retraitement du combustible nucléaire usé et constitue un traceur utile pour étudier la circulation atmosphérique globale.
En raison de son inertie chimique totale, le krypton ne présente aucun risque toxicologique. Cependant, comme tous les gaz inertes, il peut provoquer l'asphyxie par déplacement de l'oxygène dans les espaces confinés. Le krypton liquide, à -153 °C, présente les risques cryogéniques habituels (brûlures par le froid, fragilisation des matériaux).
Le krypton-83 hyperpolarisé représente une innovation récente en imagerie médicale, permettant la visualisation détaillée des poumons par IRM. Cette technique offre une alternative prometteuse à l'imagerie par rayons X pour le diagnostic des maladies pulmonaires, avec l'avantage d'éviter l'exposition aux radiations ionisantes.