Le germanium occupe une place particulière dans l'histoire de la chimie en tant qu'autre confirmation éclatante de la table périodique de Dmitri Mendeleïev (1834-1907). En 1871, Mendeleïev avait prédit l'existence d'un élément qu'il nomma eka-silicium, positionné sous le silicium dans son classement périodique. Il décrivit ses propriétés attendues avec une précision remarquable : une masse atomique autour de 72, une densité proche de 5,5 g/cm³, un point de fusion élevé, et la formation d'un oxyde de formule EsO₂.
En 1886, le chimiste allemand Clemens Alexander Winkler (1838-1904) découvrit le germanium en analysant un minerai d'argent appelé argyrodite provenant de la mine Himmelsfürst en Saxe. Après avoir éliminé tous les éléments connus, il identifia une nouvelle substance dont les propriétés correspondaient presque parfaitement aux prédictions de Mendeleïev. La masse atomique mesurée était de 72,6 (très proche des 72 prédits), et la densité était de 5,47 g/cm³ (contre 5,5 prévus).
Winkler nomma l'élément germanium en l'honneur de sa patrie, l'Allemagne (Germania en latin). Cette découverte, intervenant 15 ans après la prédiction de Mendeleïev, fournit une validation puissante de la loi périodique et démontra le pouvoir prédictif de la table périodique. Mendeleïev lui-même exprima sa satisfaction devant cette confirmation, bien qu'il eût initialement questionné certaines des mesures de Winkler avant d'accepter l'exactitude de la découverte.
Le germanium (symbole Ge, numéro atomique 32) est un métalloïde du groupe 14 du tableau périodique. Son atome possède 32 protons, généralement 42 neutrons (pour l'isotope le plus abondant \(\,^{74}\mathrm{Ge}\)) et 32 électrons avec la configuration électronique [Ar] 3d¹⁰ 4s² 4p².
Le germanium est un métalloïde gris-blanc, brillant, dur et cassant à température ambiante. Sa densité est de 5,323 g/cm³, et il possède un point de fusion relativement élevé : 938,3 °C (1 211,4 K). Le point d'ébullition atteint 2 833 °C (3 106 K), conférant au germanium une plage liquide substantielle de près de 1 900 °C.
Le germanium possède une structure cristalline cubique de type diamant, similaire au silicium et au carbone (diamant). Chaque atome de germanium est lié par covalence à quatre atomes voisins dans un arrangement tétraédrique. Cette structure cristalline explique nombre de ses propriétés physiques et électroniques, notamment son comportement semi-conducteur.
L'une des propriétés les plus remarquables du germanium est son caractère semi-conducteur. À température ambiante, le germanium pur possède une bande interdite étroite d'environ 0,67 eV, en faisant un semi-conducteur intrinsèque. Contrairement aux métaux, sa conductivité électrique augmente avec la température, caractéristique définissant les semi-conducteurs.
Le germanium présente une propriété inhabituelle pour la plupart des matériaux : comme l'eau et le silicium, il se dilate lors de la solidification. La phase solide est moins dense que la phase liquide, ce qui a des implications importantes pour la croissance cristalline et le traitement du matériau.
Le germanium pur présente un éclat métallique caractéristique et est relativement dur (dureté de Mohs d'environ 6). Il est cassant et se fracture plutôt que de se déformer sous contrainte. Le germanium est transparent au rayonnement infrarouge, ce qui le rend précieux pour l'optique infrarouge et les fenêtres des systèmes d'imagerie thermique.
Le point de fusion (état liquide) du germanium : 1 211,4 K (938,3 °C).
Le point d'ébullition (état gazeux) du germanium : 3 106 K (≈ 2 833 °C).
| Isotope / Notation | Protons (Z) | Neutrons (N) | Masse atomique (u) | Abondance naturelle | Demi-vie / Stabilité | Désintégration / Remarques |
|---|---|---|---|---|---|---|
| Germanium-70 — \(\,^{70}\mathrm{Ge}\,\) | 32 | 38 | 69,924247 u | ≈ 20,38 % | Stable | Isotope stable le plus léger du germanium. Utilisé en recherche de physique nucléaire. |
| Germanium-72 — \(\,^{72}\mathrm{Ge}\,\) | 32 | 40 | 71,922076 u | ≈ 27,31 % | Stable | Deuxième isotope le plus abondant. Important dans les applications semi-conductrices. |
| Germanium-73 — \(\,^{73}\mathrm{Ge}\,\) | 32 | 41 | 72,923459 u | ≈ 7,76 % | Stable | Seul isotope stable du germanium avec un nombre impair de neutrons. Possède un spin nucléaire utile pour la RMN. |
| Germanium-74 — \(\,^{74}\mathrm{Ge}\,\) | 32 | 42 | 73,921178 u | ≈ 36,72 % | Stable | Isotope naturel le plus abondant. Largement utilisé en technologie des semi-conducteurs. |
| Germanium-76 — \(\,^{76}\mathrm{Ge}\,\) | 32 | 44 | 75,921403 u | ≈ 7,83 % | Stable* | Théoriquement instable (double désintégration bêta), mais demi-vie supérieure à 10²¹ ans. Utilisé dans les expériences de détection de matière noire. |
| Germanium-68 — \(\,^{68}\mathrm{Ge}\,\) | 32 | 36 | 67,928094 u | Synthétique | ≈ 270,8 jours | Radioactif (capture électronique). Utilisé dans les sources de calibration pour TEP via sa désintégration en ⁶⁸Ga. |
| Germanium-71 — \(\,^{71}\mathrm{Ge}\,\) | 32 | 39 | 70,924951 u | Synthétique | ≈ 11,43 jours | Radioactif (capture électronique). Produit des réactions de détection de neutrinos avec le ⁷¹Ga. |
N.B. :
Couches électroniques : Comment les électrons sont organisés autour du noyau.
Le germanium possède 32 électrons répartis sur quatre couches électroniques. Sa configuration électronique complète est : 1s² 2s² 2p⁶ 3s² 3p⁶ 3d¹⁰ 4s² 4p², ou simplifiée : [Ar] 3d¹⁰ 4s² 4p². Cette configuration peut également s'écrire : K(2) L(8) M(18) N(4).
Couche K (n=1) : contient 2 électrons dans la sous-couche 1s. Cette couche interne est complète et très stable.
Couche L (n=2) : contient 8 électrons répartis en 2s² 2p⁶. Cette couche est complète, formant une configuration de gaz noble (néon).
Couche M (n=3) : contient 18 électrons répartis en 3s² 3p⁶ 3d¹⁰. La sous-couche 3d remplie est caractéristique des éléments post-transition et influence considérablement le comportement chimique du germanium.
Couche N (n=4) : contient 4 électrons répartis en 4s² 4p². Ces quatre électrons sont les électrons de valence du germanium.
Les 4 électrons de la couche externe (4s² 4p²) sont les électrons de valence du germanium. Cette configuration explique ses propriétés chimiques et semi-conductrices :
L'état d'oxydation principal du germanium est +4, où il partage ou perd ses quatre électrons de valence pour former des composés comme GeO₂, GeCl₄, et des composés organogermaniques. Dans cet état, le germanium atteint une configuration stable de type gaz noble [Ar] 3d¹⁰, analogue au silicium dans son état +4.
Un état d'oxydation de +2 existe également, particulièrement dans les halogénures de germanium(II) tels que GeCl₂ ou GeO. L'état +2 implique les électrons 4p² tout en conservant la paire 4s², démontrant l'effet de paire inerte caractéristique des éléments lourds du groupe 14. Cependant, les composés Ge(II) sont moins stables que les composés Ge(IV) et tendent à se dismuter ou s'oxyder facilement.
Des états d'oxydation négatifs (-4) peuvent survenir dans certains germaniures (composés avec des métaux électropositifs comme Mg₂Ge), où le germanium accepte des électrons pour compléter sa couche de valence. Le germanium métallique existe à l'état d'oxydation 0 dans sa forme élémentaire.
La présence de la sous-couche 3d¹⁰ remplie juste avant les électrons de valence crée un effet d'écran important mais contribue également à la contraction du bloc d. Cela résulte en un rayon atomique plus petit que prévu, rendant les propriétés du germanium intermédiaires entre celles d'un métal et d'un non-métal, d'où sa classification comme métalloïde.
Le germanium est relativement stable à température ambiante. Il forme une fine couche protectrice de dioxyde de germanium (GeO₂) lorsqu'il est exposé à l'air à des températures élevées, ce qui empêche une oxydation ultérieure. Cette couche d'oxyde est transparente et stable, fournissant une bonne résistance à la corrosion dans des conditions normales.
Le germanium réagit lentement avec l'oxygène à température ambiante mais s'oxyde plus facilement lorsqu'il est chauffé au-dessus de 600-700 °C, formant du dioxyde de germanium(IV) : Ge + O₂ → GeO₂. Cet oxyde est amphotère, montrant des propriétés à la fois acides et basiques, bien qu'il soit principalement acide et se dissolve plus facilement dans les bases que dans les acides.
Le germanium est relativement résistant aux acides dilués à température ambiante mais se dissout lentement dans l'acide sulfurique concentré chaud et plus rapidement dans l'eau régale (un mélange d'acides nitrique et chlorhydrique) : 3Ge + 4HNO₃ + 18HCl → 3GeCl₄ + 4NO + 8H₂O. Contrairement au silicium, le germanium ne se dissout pas dans l'acide fluorhydrique.
Avec les bases fortes, le germanium réagit pour former des germanates, particulièrement lorsqu'elles sont fondues : Ge + 2OH⁻ + 2H₂O → GeO₃²⁻ + 2H₂. Ce comportement est parallèle à celui du silicium et démontre la nature amphotère du germanium, bien qu'il soit moins réactif avec les bases que le silicium.
Le germanium réagit avec les halogènes pour former des tétrahalogénures : Ge + 2X₂ → GeX₄ (où X = F, Cl, Br, I). Ces réactions se produisent facilement, surtout à températures élevées. Le tétrachlorure de germanium (GeCl₄) est un composé particulièrement important, utilisé dans les fibres optiques et comme précurseur dans la fabrication de semi-conducteurs.
Le germanium forme divers composés avec d'autres éléments incluant des sulfures (GeS, GeS₂), des nitrures et des composés organogermaniques. Il peut également former des alliages avec de nombreux métaux et est particulièrement important dans la formation de siliciures et de germaniures utilisés dans la microélectronique moderne.
Le germanium est synthétisé dans les étoiles par de multiples voies de nucléosynthèse. Il est principalement produit pendant la combustion du silicium dans les dernières étapes de l'évolution des étoiles massives, ainsi que par le processus de capture lente de neutrons (processus s) dans les étoiles de la branche asymptotique des géantes (AGB) et lors des explosions de supernovae de type II par le processus de capture rapide de neutrons (processus r).
Les cinq isotopes stables du germanium (\(\,^{70}\mathrm{Ge}\), \(\,^{72}\mathrm{Ge}\), \(\,^{73}\mathrm{Ge}\), \(\,^{74}\mathrm{Ge}\) et \(\,^{76}\mathrm{Ge}\)) sont produits par ces processus stellaires et dispersés dans le milieu interstellaire lors de la perte de masse stellaire et des événements de supernova. Les rapports isotopiques du germanium mesurés dans les météorites fournissent des contraintes précieuses sur les contributions des différents processus de nucléosynthèse dans le système solaire primitif.
L'abondance cosmique du germanium est d'environ 50 atomes par million d'atomes de silicium, ce qui le rend relativement rare par rapport aux éléments plus légers. Cette rareté reflète les défis de synthétiser des noyaux de masse intermédiaire (A ≈ 70-76) pendant la nucléosynthèse stellaire, car cette région de masse se situe près du pic d'énergie de liaison nucléaire par nucléon.
Le germanium joue un rôle crucial dans l'astroparticule moderne. Les détecteurs de germanium ultra-pur sont largement utilisés dans les expériences recherchant des particules de matière noire par leurs interactions potentielles avec les noyaux atomiques. Des expériences telles que CDMS (Cryogenic Dark Matter Search) et EDELWEISS utilisent des cristaux de germanium refroidis à des températures de millikelvin pour détecter de rares interactions avec des WIMPs hypothétiques (Weakly Interacting Massive Particles).
L'isotope \(\,^{76}\mathrm{Ge}\) est particulièrement significatif en physique des neutrinos. Bien qu'effectivement stable à des fins pratiques, il est théoriquement capable de subir une double désintégration bêta sans neutrino, un processus hypothétique qui démontrerait que les neutrinos sont leurs propres antiparticules (particules de Majorana). Des expériences comme GERDA et LEGEND utilisent du ⁷⁶Ge enrichi pour rechercher cette désintégration extrêmement rare, qui aurait des implications profondes pour la physique des particules et la cosmologie.
Des raies spectrales du germanium ionisé (Ge II, Ge III, Ge IV) ont été détectées dans les spectres de certaines atmosphères stellaires et dans les vestiges de supernova. L'analyse de ces raies aide les astronomes à comprendre la composition stellaire, les rendements de nucléosynthèse et l'évolution chimique des galaxies au cours du temps cosmique.
N.B. :
Le germanium est présent dans la croûte terrestre à une concentration d'environ 0,00015 % en masse (1,5 ppm), ce qui en fait un élément rare, moins abondant que l'argent. Il ne se trouve pas dans des gisements concentrés mais est largement dispersé en petites quantités. Le germanium est généralement associé aux minerais de zinc (sphalérite), à certains gisements de charbon, et dans une moindre mesure aux minerais de cuivre et de plomb.
Le germanium est principalement extrait comme sous-produit du raffinage du zinc, où il se concentre dans les poussières de fumée et les résidus lors de la fusion du zinc. Les cendres volantes de charbon de certains types de charbon représentent également une source importante. La production primaire mondiale de germanium est d'environ 120-130 tonnes par an, avec la Chine dominant la production (≈ 60 %), suivie du Canada, de la Russie, de la Finlande et des États-Unis.
Le recyclage du germanium est économiquement viable et écologiquement important. Le germanium peut être récupéré des déchets de fibres optiques, des systèmes optiques infrarouges et de l'électronique en fin de vie. Le taux de recyclage est estimé à environ 30 % de la consommation totale, nettement supérieur à celui de nombreux autres métaux spéciaux. Ce taux de recyclage relativement élevé aide à compenser la production primaire limitée et réduit les impacts environnementaux.
La demande de germanium fluctue avec les tendances technologiques mais a augmenté régulièrement, portée par les communications par fibre optique, l'optique infrarouge et les applications d'énergie renouvelable. Le germanium est classé comme matière première critique par l'Union européenne et figure sur des listes similaires de matériaux stratégiques dans d'autres régions en raison de son rôle essentiel dans des technologies clés, de sources primaires limitées et d'une production mondiale concentrée. Les préoccupations concernant la sécurité d'approvisionnement ont stimulé la recherche sur la substitution du germanium et des méthodes de recyclage plus efficaces.