L'antimoine est connu depuis l'Antiquité, bien que souvent confondu avec d'autres substances. Les Égyptiens utilisaient le sulfure d'antimoine naturel (stibine, Sb₂S₃) dès 3000 av. J.-C. comme cosmétique noir pour les yeux (khôl). Les Babyloniens et les Assyriens employaient également l'antimoine dans les fards et colorants. Le nom antimoine dérive probablement de l'arabe ithmid ou al-'ithmid, désignant la stibine.
L'étymologie populaire attribue parfois le nom à une combinaison latine anti-monachum (contre les moines), suggérant que l'antimoine était toxique pour les moines, mais cette origine est probablement supposé. Le symbole chimique Sb vient du latin stibium, ancien nom de la stibine.
L'antimoine métallique était connu au Moyen Âge, bien que sa préparation fût entourée de mystère alchimique. Le moine bénédictin allemand Basile Valentin (1394-1450) décrivit (dates incertaines 15ᵉ siècle) dans ses écrits alchimiques diverses préparations d'antimoine et ses propriétés. Son ouvrage "Le Char triomphal de l'antimoine" (publié vers 1604) détaillait les méthodes de purification et les usages médicinaux de l'antimoine.
La reconnaissance de l'antimoine comme élément chimique distinct intervint progressivement au 18ᵉ siècle. Antoine Lavoisier (1743-1794) l'inclut dans sa liste des éléments chimiques en 1789. L'antimoine fut produit industriellement en quantités significatives à partir du 19ᵉ siècle, principalement pour la métallurgie et les pigments.
N.B. :
L'antimoine est présent dans la croûte terrestre à une concentration moyenne d'environ 0,2 ppm, le rendant relativement rare, environ 10 fois plus rare que l'étain mais 10 fois plus abondant que l'argent. Le principal minerai d'antimoine est la stibine ou stibnite (Sb₂S₃) contenant environ 71% d'antimoine. Des minerais secondaires incluent la valentinite (Sb₂O₃), la sénarmontite (Sb₂O₃ cubique) et la kermésite (Sb₂S₂O).
La production mondiale d'antimoine est d'environ 150 000 à 180 000 tonnes par an. La Chine domine massivement la production avec environ 60-70% du total mondial, suivie par la Russie, le Tadjikistan, la Bolivie et l'Afrique du Sud. Cette concentration extrême de la production en Chine fait de l'antimoine un matériau hautement stratégique et vulnérable aux perturbations géopolitiques.
L'antimoine est considéré comme un matériau critique par l'Union européenne, les États-Unis et d'autres économies majeures en raison de son importance pour la sécurité incendie et les batteries, combinée à la concentration géographique extrême de sa production. Le recyclage de l'antimoine est modeste, représentant environ 10-15% de l'offre, principalement récupéré des batteries au plomb usagées. Le taux de recyclage est limité par la dilution de l'antimoine dans les alliages et les difficultés techniques de récupération.
L'antimoine (symbole Sb, numéro atomique 51) est un métalloïde du groupe 15 de la classification périodique, avec l'azote, le phosphore, l'arsenic et le bismuth. Son atome possède 51 protons, généralement 70 neutrons (pour l'isotope le plus abondant \(\,^{121}\mathrm{Sb}\)) et 51 électrons avec la configuration électronique [Kr] 4d¹⁰ 5s² 5p³.
L'antimoine est un solide gris argenté brillant avec un éclat métallique, mais ses propriétés sont intermédiaires entre métaux et non-métaux, justifiant sa classification comme métalloïde. Il possède une densité de 6,69 g/cm³, le rendant modérément lourd. L'antimoine cristallise dans une structure rhomboédrique similaire à celle de l'arsenic. Il est cassant et friable, se pulvérisant facilement, et ne peut être ni laminé ni étiré.
L'antimoine fond à 631 °C (904 K) et bout à 1587 °C (1860 K). Une propriété unique et précieuse de l'antimoine est qu'il se dilate en se solidifiant (expansion volumique d'environ 1,7%), comportement rare partagé avec l'eau, le bismuth et le gallium. Cette propriété fut historiquement exploitée pour la fabrication de caractères d'imprimerie nets et précis.
L'antimoine est un mauvais conducteur de chaleur et d'électricité, propriété caractéristique des métalloïdes. Il possède une résistance électrique environ 400 fois supérieure à celle du cuivre. L'antimoine résiste bien à la corrosion atmosphérique à température ambiante, mais s'oxyde lentement à l'air humide.
Le point de fusion de l'antimoine : 904 K (631 °C).
Le point d'ébullition de l'antimoine : 1860 K (1587 °C).
L'antimoine se dilate d'environ 1,7% en se solidifiant, propriété rare et précieuse.
| Isotope / Notation | Protons (Z) | Neutrons (N) | Masse atomique (u) | Abondance naturelle | Demi-vie / Stabilité | Désintégration / Remarques |
|---|---|---|---|---|---|---|
| Antimoine-121 — \(\,^{121}\mathrm{Sb}\,\) | 51 | 70 | 120,903815 u | ≈ 57,21 % | Stable | Isotope stable le plus abondant de l'antimoine, représentant plus de la moitié du total. |
| Antimoine-123 — \(\,^{123}\mathrm{Sb}\,\) | 51 | 72 | 122,904214 u | ≈ 42,79 % | Stable | Deuxième isotope stable de l'antimoine, représentant plus de deux cinquièmes du total. |
| Antimoine-124 — \(\,^{124}\mathrm{Sb}\,\) | 51 | 73 | 123,905935 u | Synthétique | ≈ 60,2 jours | Radioactif (β⁻). Produit d'activation dans les réacteurs nucléaires, utilisé comme traceur. |
| Antimoine-125 — \(\,^{125}\mathrm{Sb}\,\) | 51 | 74 | 124,905253 u | Synthétique | ≈ 2,76 ans | Radioactif (β⁻). Produit de fission et d'activation, utilisé en radiographie industrielle. |
N.B. :
Couches électroniques : Comment les électrons sont organisés autour du noyau.
L'antimoine possède 51 électrons répartis sur cinq couches électroniques. Sa configuration électronique complète est : 1s² 2s² 2p⁶ 3s² 3p⁶ 3d¹⁰ 4s² 4p⁶ 4d¹⁰ 5s² 5p³, ou de manière simplifiée : [Kr] 4d¹⁰ 5s² 5p³. Cette configuration peut également s'écrire : K(2) L(8) M(18) N(18) O(5).
Couche K (n=1) : contient 2 électrons dans la sous-couche 1s. Cette couche interne est complète et très stable.
Couche L (n=2) : contient 8 électrons répartis en 2s² 2p⁶. Cette couche est également complète, formant une configuration de gaz noble (néon).
Couche M (n=3) : contient 18 électrons répartis en 3s² 3p⁶ 3d¹⁰. Cette couche complète contribue à l'écran électronique.
Couche N (n=4) : contient 18 électrons répartis en 4s² 4p⁶ 4d¹⁰. La sous-couche 4d complète est particulièrement stable.
Couche O (n=5) : contient 5 électrons répartis en 5s² 5p³. Ces cinq électrons sont les électrons de valence de l'antimoine.
L'antimoine possède 5 électrons de valence : deux électrons 5s² et trois électrons 5p³. Les principaux états d'oxydation sont -3, +3 et +5. L'état +3 est le plus courant, où l'antimoine perd ses trois électrons 5p³, apparaissant dans des composés comme le trioxyde d'antimoine (Sb₂O₃) et le trichlorure d'antimoine (SbCl₃).
L'état +5 existe dans des composés plus oxydés comme le pentoxyde d'antimoine (Sb₂O₅) et le pentachlorure d'antimoine (SbCl₅), mais ces composés sont moins stables que ceux de l'antimoine(III). L'état -3 apparaît dans les antimonures métalliques (comme GaSb, InSb) où l'antimoine agit comme accepteur d'électrons, formant l'ion Sb³⁻. L'antimoine métallique correspond à l'état d'oxydation 0.
L'antimoine est relativement stable à l'air à température ambiante, s'oxydant lentement pour former une fine couche protectrice d'oxyde. À température élevée (au-dessus de 400 °C), l'antimoine brûle dans l'air avec une flamme blanche brillante, formant du trioxyde d'antimoine (Sb₂O₃) qui se dégage sous forme de fumée blanche : 4Sb + 3O₂ → 2Sb₂O₃. Cette fumée blanche était historiquement utilisée pour créer des effets théâtraux.
L'antimoine réagit avec les halogènes pour former des trihalogénures ou pentahalogénures : 2Sb + 3Cl₂ → 2SbCl₃ (trichlorure) ou 2Sb + 5Cl₂ → 2SbCl₅ (pentachlorure). Le trichlorure d'antimoine est un liquide fumant hygroscopique utilisé en synthèse chimique. L'antimoine résiste aux acides non oxydants mais se dissout dans l'acide nitrique concentré et l'eau régale.
Avec les bases fortes fondues, l'antimoine réagit pour former des antimoniates. Le sulfure d'antimoine(III) (Sb₂S₃), minerai naturel stibine, est un composé important avec une couleur gris foncé métallique. Il fut historiquement utilisé comme pigment, cosmétique et remède médicinal.
L'application dominante de l'antimoine, représentant environ 60% de la demande mondiale, est le trioxyde d'antimoine (Sb₂O₃) utilisé comme synergiste de retardateurs de flamme halogénés. Bien que le trioxyde d'antimoine ne soit pas lui-même un retardateur de flamme efficace, il agit en synergie avec des composés bromés ou chlorés pour inhiber significativement la combustion des matériaux polymères.
Le mécanisme implique la formation de trihalogénures d'antimoine (SbCl₃, SbBr₃) volatils à haute température qui interfèrent avec les réactions radicalaires de la flamme en phase gazeuse, éteignant efficacement le feu. Cette combinaison antimoine-halogènes est particulièrement efficace et économique, permettant de satisfaire les normes de sécurité incendie pour les plastiques, textiles, mousses, et équipements électroniques.
Un téléviseur typique contient 5-10 grammes de trioxyde d'antimoine dans ses composants plastiques, un ordinateur 3-5 grammes, créant une demande massive. Cependant, les préoccupations environnementales et sanitaires concernant les retardateurs de flamme halogénés (toxicité, bioaccumulation, production de dioxines lors de l'incinération) ont conduit à des restrictions progressives dans certaines applications, affectant la demande d'antimoine.
La deuxième application majeure de l'antimoine est comme durcisseur dans les alliages de plomb pour batteries au plomb-acide. L'ajout de 2-5% d'antimoine au plomb augmente significativement sa dureté, sa résistance mécanique et sa coulabilité, propriétés essentielles pour les grilles positives des batteries qui doivent supporter la corrosion et les contraintes mécaniques pendant des années.
Les batteries au plomb-antimoine présentent une meilleure performance à haute température et une durée de vie prolongée par rapport aux batteries sans antimoine. Cependant, elles souffrent d'une autodécharge plus rapide et d'une plus grande consommation d'eau (hydrolyse), nécessitant un entretien régulier. Les batteries modernes de véhicules utilisent souvent des alliages plomb-calcium sans antimoine pour réduire l'entretien.
Les batteries industrielles, de démarrage lourd, de télécommunications et de traction (chariots élévateurs, sous-marins) continuent majoritairement d'utiliser des alliages plomb-antimoine pour leurs performances supérieures. Cette application représente environ 20-25% de la demande mondiale d'antimoine.
L'antimoine et ses composés présentent une toxicité modérée à élevée selon la forme chimique. Le trioxyde d'antimoine (Sb₂O₃) est classé comme possiblement cancérigène pour l'homme (groupe 2B) par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). L'exposition se produit principalement par inhalation de poussières dans les industries métallurgiques et de transformation.
L'exposition aiguë à l'antimoine provoque des irritations des yeux, de la peau et des voies respiratoires, des nausées et des vomissements. L'exposition chronique peut causer des problèmes pulmonaires (pneumoconiose), cardiovasculaires et dermatologiques. Les effets sont similaires à ceux de l'arsenic, bien que généralement moins sévères.
L'antimoine s'accumule dans l'environnement, particulièrement dans les sols près des mines et des fonderies. La contamination des eaux par l'antimoine provenant de sources industrielles et de la lixiviation des déchets pose des problèmes dans certaines régions. Les normes d'eau potable fixent généralement la limite à 5-6 μg/L.
L'antimoine est synthétisé dans les étoiles principalement par le processus s (capture lente de neutrons) dans les étoiles de la branche asymptotique des géantes (AGB), avec des contributions mineures du processus r (capture rapide de neutrons) lors de supernovae et de fusions d'étoiles à neutrons. Les deux isotopes stables de l'antimoine sont produits par ces processus.
L'abondance cosmique de l'antimoine est extrêmement faible, environ 3×10⁻¹¹ fois celle de l'hydrogène en nombre d'atomes, ce qui en fait l'un des éléments les plus rares de l'univers. Cette rareté extrême s'explique par plusieurs facteurs : l'antimoine possède un nombre impair de protons (51), le rendant moins stable que les éléments pairs, et se situe dans une région défavorable de la courbe de stabilité nucléaire.
Les raies spectrales de l'antimoine neutre (Sb I) et ionisé (Sb II) sont extrêmement difficiles à observer dans les spectres stellaires en raison de la très faible abondance cosmique de cet élément. Néanmoins, des traces d'antimoine ont été détectées dans quelques étoiles chimiquement particulières ultra-enrichies en éléments du processus s, permettant d'étudier les processus de nucléosynthèse dans les étoiles AGB évoluées.