
Le soufre est l'un des éléments connus depuis la plus haute Antiquité, utilisé bien avant que la notion même d'élément chimique n'existe. Les civilisations anciennes (Égyptiens, Grecs, Romains, Chinois) utilisaient le soufre natif trouvé près des volcans pour des usages religieux, médicinaux et industriels. Les Grecs anciens utilisaient le soufre pour blanchir les tissus et comme fumigant, tandis que les Romains l'employaient dans leurs procédés métallurgiques. Dans l'alchimie médiévale, le soufre était considéré comme l'un des trois principes fondamentaux avec le mercure et le sel. En 1777, Antoine Lavoisier (1743-1794) démontre de façon définitive que le soufre est un élément chimique et non un composé, l'incluant dans sa liste des éléments dans son Traité élémentaire de chimie (1789). Le nom soufre vient du latin sulfur, d'origine probablement sanskrite.
Le soufre (symbole S, numéro atomique 16) est un non-métal du groupe 16 (anciennement groupe VIA, famille des chalcogènes) du tableau périodique. Son atome possède 16 protons, 16 électrons et généralement 16 neutrons dans son isotope le plus abondant (\(\,^{32}\mathrm{S}\)). Quatre isotopes stables existent : le soufre-32 (\(\,^{32}\mathrm{S}\)), le soufre-33 (\(\,^{33}\mathrm{S}\)), le soufre-34 (\(\,^{34}\mathrm{S}\)) et le soufre-36 (\(\,^{36}\mathrm{S}\)).
À température ambiante, le soufre est un solide cristallin jaune citron, cassant, inodore sous sa forme élémentaire (l'odeur caractéristique provient de ses composés comme H₂S). Densité ≈ 2.07 g/cm³. Le soufre présente un polymorphisme remarquable avec de nombreuses formes allotropiques. Les principales sont le soufre orthorhombique α (S₈, forme stable à température ambiante, octaèdres cycliques), point de fusion : 388,36 K (115,21 °C), et le soufre monoclinique β (stable au-dessus de 95,3 °C). Point d'ébullition du soufre : 717,8 K (444,6 °C). Le soufre fondu présente des propriétés visqueuses extraordinaires qui varient avec la température.
| Isotope / Notation | Protons (Z) | Neutrons (N) | Masse atomique (u) | Abondance naturelle | Demi-vie / Stabilité | Décroissance / Remarques |
|---|---|---|---|---|---|---|
| Soufre-32 — \(\,^{32}\mathrm{S}\,\) | 16 | 16 | 31.972071 u | ≈ 94.99 % | Stable | Isotope de loin le plus abondant du soufre naturel. |
| Soufre-33 — \(\,^{33}\mathrm{S}\) | 16 | 17 | 32.971459 u | ≈ 0.75 % | Stable | Utilisé en géochimie isotopique pour tracer les processus biologiques anciens. |
| Soufre-34 — \(\,^{34}\mathrm{S}\) | 16 | 18 | 33.967867 u | ≈ 4.25 % | Stable | Important en géochimie pour étudier les cycles biogéochimiques. |
| Soufre-36 — \(\,^{36}\mathrm{S}\) | 16 | 20 | 35.967081 u | ≈ 0.01 % | Stable | Isotope rare ; utilisé comme traceur en recherche environnementale. |
| Soufre-35 — \(\,^{35}\mathrm{S}\) | 16 | 19 | 34.969032 u | Non naturel | 87.37 jours | Radioactif β\(^-\) se désintégrant en chlore-35. Utilisé comme traceur en biologie et médecine. |
| Autres isotopes — \(\,^{26}\mathrm{S}\) à \(\,^{49}\mathrm{S}\) | 16 | 10 — 33 | — (variables) | Non naturels | Millisecondes à secondes | Isotopes instables produits artificiellement ; physique nucléaire expérimentale. |
N.B. :
Les couches électroniques : Comment les électrons s'organisent autour du noyau.
Le soufre possède 16 électrons répartis sur trois couches électroniques. Sa configuration électronique complète est : 1s² 2s² 2p⁶ 3s² 3p⁴, ou de manière simplifiée : [Ne] 3s² 3p⁴. Cette configuration peut aussi s'écrire : K(2) L(8) M(6).
Couche K (n=1) : contient 2 électrons dans la sous-couche 1s. Cette couche interne est complète et très stable.
Couche L (n=2) : contient 8 électrons répartis en 2s² 2p⁶. Cette couche est également complète, formant une configuration de gaz noble (néon).
Couche M (n=3) : contient 6 électrons répartis en 3s² 3p⁴. Les orbitales 3s sont complètes, tandis que les orbitales 3p ne contiennent que 4 électrons sur 6 possibles. Il manque donc 2 électrons pour saturer cette couche externe.
Les 6 électrons de la couche externe (3s² 3p⁴) constituent les électrons de valence du soufre. Cette configuration explique ses propriétés chimiques :
En gagnant 2 électrons, le soufre forme l'ion S²⁻ (degré d'oxydation -2), état courant dans les sulfures métalliques, adoptant ainsi la configuration de l'argon [Ar].
En perdant ou en partageant des électrons, le soufre peut présenter des degrés d'oxydation positifs variés : +2, +4 et +6, ce dernier étant observé dans l'acide sulfurique H₂SO₄ et les sulfates.
Le degré d'oxydation 0 correspond au soufre élémentaire, qui existe sous différentes formes allotropiques, la plus stable étant le soufre orthorhombique S₈ (cycle de 8 atomes).
La configuration électronique du soufre, avec 6 électrons sur sa couche de valence, le classe parmi les chalcogènes (éléments du groupe 16). Cette structure lui confère des propriétés caractéristiques : grande versatilité chimique avec de nombreux degrés d'oxydation possibles (-2, 0, +2, +4, +6), capacité à former des chaînes et des cycles grâce à la liaison S-S, et aptitude à former aussi bien des liaisons ioniques que covalentes. Le soufre peut accepter 2 électrons pour atteindre la stabilité d'un gaz noble, formant l'ion sulfure S²⁻ présent dans de nombreux minéraux. Il peut également partager ses électrons dans des liaisons covalentes, formant des composés très variés. Sa polyvalence chimique fait du soufre un élément essentiel en chimie industrielle, notamment pour la production d'acide sulfurique (le composé chimique le plus produit au monde), de vulcanisation du caoutchouc, et dans de nombreux composés organiques soufrés importants en biologie.
Le soufre est modérément réactif à température ambiante mais très réactif à haute température. Il se combine avec presque tous les éléments chimiques sauf les gaz nobles et l'azote. Le soufre brûle dans l'air avec une flamme bleue caractéristique, produisant du dioxyde de soufre (SO₂) irritant et suffocant. Il forme des composés dans plusieurs états d'oxydation : -II (sulfures et thiols), +IV (SO₂, sulfites) et +VI (SO₃, sulfates, acide sulfurique H₂SO₄). Le soufre réagit avec les métaux pour former des sulfures, avec l'hydrogène pour former le sulfure d'hydrogène (H₂S, gaz toxique à odeur d'œuf pourri), et avec l'oxygène pour former divers oxydes. La chimie du soufre est extrêmement riche, incluant les chaînes polysulfurées, les composés organosoufrés et les liaisons disulfure essentielles en biochimie.
Le soufre est le sixième élément essentiel à la vie (C, H, N, O, P, S). Il est présent dans deux acides aminés essentiels : la cystéine et la méthionine, qui constituent les protéines de tous les êtres vivants. Les ponts disulfure (liaisons S-S) entre résidus de cystéine sont cruciaux pour la structure tridimensionnelle et la stabilité des protéines. Le soufre est également présent dans plusieurs coenzymes vitaux comme le coenzyme A, la biotine (vitamine B₇) et l'acide lipoïque. Il joue un rôle important dans la détoxification cellulaire via le glutathion, un puissant antioxydant. Certaines bactéries utilisent le soufre dans leur métabolisme énergétique (bactéries sulfato-réductrices et sulfo-oxydantes), jouant un rôle majeur dans le cycle biogéochimique du soufre. Les sources chaudes volcaniques riches en soufre abritent des écosystèmes microbiens extrêmophiles uniques.
Le soufre est le dixième élément le plus abondant dans l'univers et se trouve naturellement sous plusieurs formes. Dans la croûte terrestre, il représente environ 0,035 % de la masse. Le soufre natif (élémentaire) se trouve dans les régions volcaniques et près des sources chaudes. Il existe également dans de nombreux minéraux : sulfures métalliques (pyrite FeS₂, galène PbS, sphalérite ZnS), sulfates (gypse CaSO₄·2H₂O, barytine BaSO₄), et dans les combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel). Le cycle du soufre implique des processus biologiques, géologiques et atmosphériques complexes. Les émissions volcaniques, la décomposition de matière organique et l'activité industrielle (combustion de combustibles fossiles) libèrent du dioxyde de soufre dans l'atmosphère, contribuant aux pluies acides lorsqu'il se transforme en acide sulfurique.
Le soufre est un élément relativement abondant dans l'univers, produit lors de la nucléosynthèse dans les étoiles massives par fusion de l'oxygène et du silicium. Les supernovae dispersent d'importantes quantités de soufre dans le milieu interstellaire. Le soufre a été détecté dans de nombreux objets célestes : atmosphères stellaires, nébuleuses, comètes, météorites et atmosphères planétaires. La lune de Jupiter, Io, présente un volcanisme actif dominé par le soufre, donnant à sa surface une couleur jaune-orange caractéristique. Les geysers de soufre sur Io éjectent du dioxyde de soufre à des centaines de kilomètres d'altitude. Vénus possède des nuages contenant de l'acide sulfurique dans son atmosphère. La détection de composés soufrés comme H₂S dans les atmosphères d'exoplanètes pourrait constituer une biosignature indirecte.
N.B. :
Le soufre fondu présente un comportement visqueux extraordinaire et contre-intuitif. Lorsqu'on chauffe du soufre solide, il fond vers 115 °C en un liquide jaune clair et fluide. Mais en continuant à chauffer au-delà de 160 °C, le liquide devient soudainement extrêmement visqueux, presque solide, passant d'une consistance semblable à l'eau à celle du miel épais, puis de la mélasse. Ce phénomène résulte de la rupture des anneaux S₈ qui forment des chaînes polymères enchevêtrées. En chauffant encore davantage au-delà de 200 °C, la viscosité diminue à nouveau progressivement. Ce comportement unique fait du soufre fondu un système fascinant pour étudier les transitions de phase et la polymérisation.