
L'histoire de l'isolation du fluor est marquée par des décennies de tentatives dangereuses et parfois mortelles. Les composés fluorés, notamment le minéral fluorine (fluorure de calcium, CaF₂), étaient connus depuis le 16ᵉ siècle. En 1810, le chimiste français André-Marie Ampère (1775-1836) suggéra l'existence d'un nouvel élément analogue au chlore dans l'acide fluorhydrique. Pendant plus de 70 ans, de nombreux chimistes tentèrent d'isoler le fluor, mais sa réactivité extrême rendait la tâche extrêmement périlleuse. Plusieurs chercheurs furent gravement empoisonnés ou moururent lors de ces tentatives, notamment les frères Thomas et George Knox en Irlande.
Ce n'est qu'en 1886 que le chimiste français Henri Moissan (1852-1907) réussit finalement à isoler le fluor gazeux par électrolyse d'un mélange d'acide fluorhydrique et de bifluorure de potassium dans un appareil en platine-iridium refroidi. Cette prouesse lui valut le prix Nobel de chimie en 1906. Le nom fluor dérive du latin fluere (couler), en référence à l'utilisation de la fluorine comme fondant en métallurgie pour abaisser le point de fusion des minerais.
Le fluor (symbole F, numéro atomique 9) est un halogène du groupe 17 du tableau périodique, constitué de neuf protons, généralement dix neutrons (pour l'isotope stable) et neuf électrons. Le seul isotope stable naturel est le fluor-19 \(\,^{19}\mathrm{F}\) (100 % d'abondance naturelle).
À température ambiante, le fluor se présente sous forme de gaz diatomique (F₂), de couleur jaune pâle, à l'odeur âcre et piquante, extrêmement toxique et corrosif. Le fluor est l'élément chimique le plus électronégatif de tous (électronégativité de Pauling : 3,98), ce qui signifie qu'il attire les électrons plus fortement que tout autre élément. Cette propriété fait du fluor l'oxydant le plus puissant et le réactif le plus agressif connu. Le gaz F₂ a une densité d'environ 1.696 g/L à température et pression standard.
La température à laquelle les états liquide et solide peuvent coexister (point de fusion) : 53,48 K (−219,67 °C). La température à partir de laquelle il passe de l'état liquide à l'état gazeux (point d'ébullition) : 85,03 K (−188,12 °C). Le fluor liquide présente une couleur jaune vif caractéristique.
| Isotope / Notation | Protons (Z) | Neutrons (N) | Masse atomique (u) | Abondance naturelle | Demi-vie / Stabilité | Décroissance / Remarques |
|---|---|---|---|---|---|---|
| Fluor-18 — \(\,^{18}\mathrm{F}\,\) | 9 | 9 | 18.000938 u | Non naturel | 109.77 minutes | Radioactif β\(^+\) donnant \(\,^{18}\mathrm{O}\) ; utilisé massivement en TEP-scan (FDG marqué au fluor-18). |
| Fluor-19 — \(\,^{19}\mathrm{F}\,\) | 9 | 10 | 18.998403 u | 100 % | Stable | Seul isotope stable du fluor ; présent dans tous les composés fluorés naturels et artificiels. |
| Fluor-20 — \(\,^{20}\mathrm{F}\,\) | 9 | 11 | 19.999981 u | Non naturel | 11.00 s | Radioactif β\(^-\) donnant \(\,^{20}\mathrm{Ne}\) ; produit artificiellement dans les accélérateurs. |
| Fluor-21 — \(\,^{21}\mathrm{F}\,\) | 9 | 12 | 20.999949 u | Non naturel | 4.158 s | Radioactif β\(^-\) ; utilisé en recherche nucléaire. |
| Fluor-17 — \(\,^{17}\mathrm{F}\,\) | 9 | 8 | 17.002095 u | Non naturel | 64.49 s | Radioactif β\(^+\) ; émetteur de positrons utilisé en imagerie médicale. |
| Autres isotopes — \(\,^{14}\mathrm{F}-\,^{16}\mathrm{F},\,^{22}\mathrm{F}-\,^{31}\mathrm{F}\) | 9 | 5-7, 13-22 | — (résonances) | Non naturels | \(10^{-22}\) — 5 s | États très instables observés en physique nucléaire ; désintégration par émission de particules ou radioactivité β. |
N.B. :
Les couches électroniques : Comment les électrons s'organisent autour du noyau.
Le fluor possède 9 électrons répartis sur deux couches électroniques. Sa configuration électronique complète est : 1s² 2s² 2p⁵, ou de manière simplifiée : [He] 2s² 2p⁵. Cette configuration peut aussi s'écrire : K(2) L(7).
Couche K (n=1) : contient 2 électrons dans la sous-couche 1s. Cette couche interne est complète et très stable.
Couche L (n=2) : contient 7 électrons répartis en 2s² 2p⁵. Les orbitales 2s sont complètes, tandis que les orbitales 2p ne contiennent que 5 électrons sur 6 possibles. Il manque donc un seul électron pour atteindre la configuration stable du néon avec 8 électrons (octet).
Les 7 électrons de la couche externe (2s² 2p⁵) constituent les électrons de valence du fluor. Cette configuration explique ses propriétés chimiques :
En gagnant 1 électron, le fluor forme l'ion F⁻ (degré d'oxydation -1), son état d'oxydation unique et systématique dans tous ses composés, adoptant ainsi la configuration stable du néon [Ne].
Le fluor ne peut présenter aucun degré d'oxydation positif car il est l'élément le plus électronégatif de tous les éléments chimiques (électronégativité de 4,0 sur l'échelle de Pauling).
Le degré d'oxydation 0 correspond au difluor F₂, sa forme moléculaire naturelle, où deux atomes de fluor partagent une paire d'électrons.
La configuration électronique du fluor, avec 7 électrons sur sa couche de valence, le classe parmi les halogènes et en fait l'élément le plus réactif du tableau périodique. Cette structure lui confère des propriétés caractéristiques exceptionnelles : réactivité chimique maximale (le fluor réagit avec pratiquement tous les éléments, y compris les gaz nobles les plus lourds et même l'eau), électronégativité la plus élevée de tous les éléments (capacité inégalée à attirer les électrons), et pouvoir oxydant le plus puissant connu. Le fluor forme exclusivement l'ion fluorure F⁻ en captant un électron pour compléter son octet. Sa petite taille atomique et sa forte charge nucléaire effective expliquent son avidité exceptionnelle pour les électrons. Le difluor F₂ est un gaz jaune-vert pâle extrêmement corrosif et dangereux qui attaque violemment presque tous les matériaux. Malgré sa réactivité extrême, le fluor et ses composés ont des applications importantes : le fluorure de sodium (NaF) est ajouté à l'eau potable et aux dentifrices pour prévenir les caries dentaires, les composés fluorés sont utilisés comme réfrigérants (bien que les CFC soient interdits), le polytétrafluoroéthylène (PTFE, Téflon) est un polymère antiadhésif très résistant, et l'acide fluorhydrique HF est utilisé en gravure du verre et en métallurgie.
Le fluor possède sept électrons de valence et il lui manque un seul électron pour compléter sa couche externe. Cette configuration, combinée à son électronégativité record, fait du fluor un oxydant extraordinairement agressif qui réagit spontanément avec pratiquement tous les éléments chimiques, y compris certains gaz nobles (xénon, krypton, radon) dans des conditions appropriées. Le fluor peut même oxyder l'oxygène pour former du difluorure d'oxygène (OF₂), un composé où l'oxygène est dans un état d'oxydation positif inhabituel.
Le fluor réagit violemment avec la plupart des substances organiques et inorganiques, souvent avec inflammation spontanée. L'eau réagit explosément avec le fluor pour produire de l'acide fluorhydrique (HF), de l'oxygène et de l'ozone. Les métaux s'enflamment au contact du fluor gazeux, formant des fluorures métalliques. Même le verre ordinaire est attaqué par le fluor, ce qui nécessite l'utilisation de contenants spéciaux en métaux passivés (nickel, cuivre, acier inoxydable) dont la surface est recouverte d'une fine couche protectrice de fluorure.
Le fluor forme l'ion fluorure (F⁻) dans ses composés ioniques et des liaisons covalentes extrêmement fortes dans ses composés covalents. La liaison C-F (carbone-fluor) est l'une des liaisons chimiques les plus fortes et les plus stables en chimie organique, conférant aux composés fluorocarbonés (comme le Téflon) une stabilité chimique et thermique exceptionnelle. L'acide fluorhydrique (HF) est un acide faible en solution aqueuse mais extrêmement corrosif car il peut dissoudre le verre et pénétrer profondément dans les tissus biologiques.
Malgré sa toxicité et sa réactivité à l'état élémentaire, l'ion fluorure (F⁻) à faibles concentrations joue un rôle bénéfique en renforçant l'émail dentaire en le convertissant en fluorapatite, plus résistante aux attaques acides. C'est pourquoi le fluor est ajouté aux dentifrices et à l'eau potable dans de nombreux pays pour prévenir les caries dentaires.
Le fluor est un élément relativement rare dans l'univers, avec une abondance cosmique environ 400 fois inférieure à celle de l'oxygène. Cette rareté contraste avec la position du fluor dans le tableau périodique entre l'oxygène (très abondant) et le néon (modérément abondant), créant ce qu'on appelle parfois le « déficit du fluor » cosmique.
Contrairement à la plupart des autres éléments légers, l'origine astrophysique du fluor a longtemps été mystérieuse. Le fluor ne peut pas être produit efficacement par la nucléosynthèse primordiale du Big Bang ni par les réactions de fusion habituelles dans les étoiles. Les recherches récentes suggèrent que le fluor est principalement produit par deux processus :
La nucléosynthèse dans les étoiles AGB (étoiles de la branche asymptotique des géantes, masse de 2-8 masses solaires) semble être la source principale. Dans ces étoiles évoluées, le fluor est produit par la capture de neutrons sur l'azote-14 et l'oxygène-18, suivie de réactions nucléaires impliquant des protons. Ces étoiles dispersent ensuite le fluor dans le milieu interstellaire via leurs vents stellaires puissants et leurs éjections de matière.
Les neutrinos produits lors des supernovae peuvent également contribuer à la production de fluor. Lorsqu'une étoile massive explose en supernova, le flux intense de neutrinos peut induire des réactions nucléaires (processus nu) qui convertissent le néon-20 en fluor-19 et en sodium-23. Cette contribution reste débattue mais pourrait expliquer une partie de l'abondance du fluor dans l'univers.
Le fluor a également été détecté dans les atmosphères de certaines étoiles évoluées riches en carbone et dans quelques nébuleuses planétaires. Les variations de l'abondance du fluor dans différentes populations stellaires permettent aux astronomes de contraindre les modèles de nucléosynthèse et d'évolution chimique galactique.
Dans le système solaire, le fluor se trouve principalement sous forme de fluorure dans les minéraux terrestres (fluorine, apatite) et dans certaines météorites. La Terre contient environ 0,06 % de fluor dans sa croûte, principalement dans des minéraux comme la fluorine (CaF₂), l'apatite (Ca₅(PO₄)₃F) et la topaze (Al₂SiO₄(F,OH)₂).
La détection du fluor dans l'espace interstellaire est difficile car le fluor gazeux (F₂) et les composés fluorés simples sont rares. L'acide fluorhydrique (HF) a été détecté dans certains nuages moléculaires et enveloppes circumstellaires, fournissant des informations sur la chimie du fluor dans l'espace.
N.B. :
Le « paradoxe du fluor » illustre remarquablement la dualité de cet élément extraordinaire. À l'état élémentaire (F₂), le fluor est l'un des produits chimiques les plus dangereux jamais manipulés : toxique, corrosif, réactif avec presque tout, et responsable d'accidents mortels au cours de son histoire. Pourtant, sous forme d'ion fluorure (F⁻) à faibles concentrations, il devient bénéfique pour la santé dentaire humaine. De même, les composés organofluorés synthétiques comptent parmi les substances les plus stables et inertes chimiquement jamais créées (Téflon, Gore-Tex), à l'opposé total de la réactivité du fluor élémentaire. Cette transformation spectaculaire des propriétés chimiques entre l'élément libre et ses composés est plus marquée pour le fluor que pour tout autre élément. Le fluor incarne ainsi une leçon fondamentale de chimie : les propriétés d'un élément à l'état libre peuvent être radicalement différentes de celles de ses composés, et la toxicité ou la dangerosité d'une substance dépend entièrement de sa forme chimique et de sa concentration.