Le système Terre est système complexe en raison de ses multiples composantes interconnectées, de ses rétroactions non linéaires et de son comportement émergent difficile à prédire à partir des seules propriétés de ses éléments individuels.
Les grands sous-systèmes en interaction, le climat, les océans, les eaux douces, la biosphère, les activités humaines, ne suivent pas une relation de cause à effet simple, mais peuvent s’amplifier de manière imprévisible. Il suffit qu'un seul seuil soit atteint pour que le système bascule et génère des ruptures en cascade. Ces seuils irréversibles sont des "points de non-retour" et non des "points de passages" dans des changements graduels.
En physique et en mathématiques, une bifurcation désigne un changement qualitatif du comportement d'un système dynamique lorsque l'un de ses paramètres dépasse une valeur critique. Ce concept, central dans la théorie des systèmes complexes, explique comment de petites modifications peuvent provoquer des transformations brutales et radicales.
Lors d'une bifurcation (bifurcation en fourche), un point d'équilibre stable se divise en deux nouvelles solutions stables tout en devenant instable lui-même, la transition est irréversible au-delà du seuil. Par exemple :
Lors d'une bifurcation (bifurcation de selle-nœud ou bifurcation pli), deux points fixes, un stable et un instable, se rencontrent et disparaissent dans un effondrement structurel. Par exemple :
Lors d'une bifurcation (bifurcation de Hopf), un point fixe stable devient instable lorsque les paramètres du système évoluent (lentement ou par seuil), tout en donnant naissance à un cycle limite stable. Par exemple :
Notre monde est en interaction avec de multiples systèmes - climatiques (nuages et couverture nuageuse, etc.), écologiques (crise agricole et baisse des rendements, etc.), sociaux et politiques (régimes démocratiques, etc.), économiques et technologiques (marchés financiers, etc.), culturels et cognitifs (effondrement des récits communs, etc.).
Ces équilibres paraissent durables, mais sont en réalité maintenus dans des régimes dynamiques sensibles à des paramètres critiques. Lorsqu’un paramètre franchit un seuil, le système peut subir une bifurcation, c’est-à-dire perdre brutalement sa stabilité initiale pour évoluer vers un tout autre état imprévisible. Selon la nature de la bifurcation, les transitions peuvent être plus ou moins brutales.
Ce phénomène, bien connu en physique, mathématiques et biologie, s’applique aussi à nos sociétés. Les signes faibles s’accumulent dans le système (tensions géopolitiques, rechauffement climatique, baisse de la biodiversité, interdépendance technologique, montée de l’endettement mondial, concentration du capital, croissance des mouvements populistes, défiance généralisée envers la science, tensions croissantes sur l’eau potable, vieillissement accéléré des populations, urbanisation rapide, explosion des infox, modification de la réalité partagée, croissance des IA non maîtrisable, capacité d'adaptation des sociétés, etc.)
Si le "Système Monde" approche un point critique quelconque, la bifurcation est imminente, et le système est proche d'une bascule radicale. Nous avons tous le sentiment que notre planète approche un ou plusieurs seuils critiques où des bifurcations majeures pourraient survenir, avec des conséquences irréversibles pour les sociétés humaines. Face à ces multiples points de basculement potentiels, l'humanité se trouve confrontée à un défi sans précédent : comprendre ces seuils critiques permet de se préparer aux transformations inévitables.
Paradoxalement, l'état stable que notre société est sur le point de perdre, pourrait bien être la Stabilité de la Prévisibilité Globale, c’est-à-dire la capacité à projeter le futur à moyen terme. Cela pourrait déclencher un ensemble de conséquences en cascade liées à des instabilités couplées (écologiques, énergétiques, sociales, technologiques, etc.).