L'astronomie nabatéenne désigne l'ensemble des connaissances et pratiques astronomiques développées par le royaume nabatéen, civilisation arabe qui domina les routes commerciales du désert entre le 4ᵉ siècle BCE et le 2ᵉ siècle CE. Établis dans la région de l'actuelle Jordanie, avec Pétra comme capitale, les Nabatéens développèrent une expertise astronomique principalement au service de leur activité économique principale : le contrôle des routes caravanières reliant l'Arabie, l'Égypte, la Syrie et la Méditerranée.
Les Nabatéens ne furent pas des astronomes théoriciens comme les Babyloniens ou les Grecs, mais des praticiens pragmatiques utilisant les astres pour des applications concrètes : navigation dans le désert, établissement de calendriers pour foires commerciales, orientation de monuments religieux, et calcul de dates propices pour voyages caravaniers. Leur astronomie reflétait leur identité de peuple marchand, à la croisée des influences culturelles mésopotamiennes, égyptiennes, grecques et arabes.
N.B. :
La population nabatéenne est estimée à environ 20 000-30 000 habitants à Pétra à son apogée (1ᵉʳ siècle BCE - 1ᵉʳ siècle CE), avec un total de 30 000-50 000 personnes dans l’ensemble du royaume, incluant oasis, villages et routes caravanières. Ces chiffres sont basés sur la taille des habitats, l’occupation du sol et la capacité des systèmes d’eau.
| Phase | Période (approx.) | Contribution / Remarques techniques |
|---|---|---|
| Période prénabatéenne | avant 400 BCE | Navigation stellaire empirique dans le désert ; usage d'étoiles brillantes et de la Voie lactée pour orientation nocturne ; estimation du temps relatif par culmination des étoiles ; itinéraires caravanier alignés sur repères naturels. |
| Émergence du royaume | 4ᵉ–1ᵉʳ siècle BCE | Sédentarisation et établissement de Pétra ; adoption de repères solaires et lunaires pour calendrier local ; influence égyptienne et hellénistique avec techniques de gnomon et repérages d'héliaques. |
| Apogée nabatéen | 1ᵉʳ siècle BCE – 1ᵉʳ siècle CE | Observations astronomiques intégrées à l’architecture ; alignements solaires et lunaires précis pour festivals et fêtes royales ; conception des monuments de Pétra avec calibrage empirique des azimuts et élévations solaires. |
| Période romaine | 106 CE – 4ᵉ siècle CE | Syncrétisme gréco-romain : intégration des pratiques romaines (calendrier julien, arpentage astronomique) aux traditions nabatéennes ; adaptation architecturale avec conservation partielle des axes astronomiques. |
| Période byzantine | 4ᵉ – 7ᵉ siècle CE | Christianisation progressive des temples astronomiques ; déclin des pratiques rituelles traditionnelles ; maintien possible de connaissances pratiques pour navigation et commerce. |
N.B. :
Les Nabatéens contrôlaient le commerce lucratif de l'encens, de la myrrhe et des épices provenant du sud de l'Arabie et de l'Inde. Les caravanes transportant ces précieuses marchandises traversaient des centaines de kilomètres de désert hostile entre puits d'eau rares. La navigation stellaire nocturne était vitale pour éviter la chaleur diurne, économiser l'eau, et maintenir la direction correcte à travers des paysages sans repères.
Les caravanes nabatéennes voyageaient de nuit pour éviter la chaleur diurne, rendant la maîtrise du ciel indispensable. Les guides (dalīl) utilisaient un ensemble de repères stellaires et de constellations pour déterminer la direction et l’heure, dont la Petite Ourse et Kochab pour le nord, Sirius, Canopus, Arcturus et Véga pour orientation saisonnière, la Ceinture d’Orion, les Constellations zodiacales pour estimer l'heure.
Le ciel était divisé en 28 stations lunaires (manāzil al-qamar), correspondant à la position de la Lune chaque nuit du cycle sidéral (27,3 jours), créant un calendrier stellaire naturel partagé avec d’autres peuples arabes.
Pétra, capitale nabatéenne taillée dans le grès rose, présente une planification urbaine et architecturale intégrant des alignements astronomiques précis, comme le Khazneh, façade de 40 m de haut, qui s'aligne avec le lever du soleil au solstice d’hiver.
Ces alignements servaient des fonctions religieuses et calendaires précises : les phénomènes solaires à dates clés marquaient les fêtes religieuses majeures et favorisaient les rassemblements commerciaux et cultuels.
Les hauts-lieux (motab) sur les collines environnantes fonctionnaient à la fois comme sanctuaires et observatoires astronomiques ; leur position élevée offrait horizon dégagé pour levers et couchers d’astres, et leur accès restreint indiquait usage réservé aux prêtres et élites connaissant les cycles célestes.
N.B. :
Le grès nubien rose-rouge de Pétra change de couleur selon l’angle et l’intensité du soleil. Les architectes nabatéens ont exploité cet effet en orientant les monuments pour créer des jeux de lumière spectaculaires à moments astronomiques clés, renforçant le caractère sacré et théâtral des cérémonies religieuses.
| Divinité | Rôle / Caractéristique | Association astronomique et fonction |
|---|---|---|
| Dushara (Dūšarā) | Dieu suprême nabatéen, "Celui de la Montagne", représenté par un bétyle non figuratif | Soleil et phénomènes célestes ; symbolise l’autorité cosmique et l’ordre universel |
| al-'Uzza | Déesse majeure, "la Très Puissante", syncrétique avec Ishtar/Aphrodite | Vénus, étoile du matin et du soir ; culte lié à l’observation de l’étoile et au calendrier rituel |
| Manāt | Déesse du destin, contrôle des cycles temporels | Lune et cycles lunaires ; calendrier et détermination du temps rituel |
| al-Lāt | Déesse pan-arabe, adoption partagée avec d’autres tribus | Possiblement Soleil ; rôle exact chez les Nabatéens débattu |
| Shamash | Dieu solaire mésopotamien adapté dans le panthéon nabatéen | Soleil ; influence syncrétique sur cultes solaires et orientation rituelle |
| Sin | Dieu lunaire mésopotamien, culte attesté par inscriptions | Lune ; rôle dans les cycles lunaires et influence sur navigation et calendrier |
Les Nabatéens utilisaient un calendrier luni-solaire complexe, intégrant influences babylonienne, égyptienne, arabe et grecque, réflétant leur position à la croisée des civilisations. Le calendrier nabatéen comprenait 12 mois de 29-30 jours, totalisant ~354 jours et un 13ᵉ mois pour un réalignement avec l'année solaire.
Fonctions du calendrier nabatéen :
N.B. :
Les inscriptions nabatéennes utilisaient un système de double datation : année du règne royal et parfois ère séleucide (depuis 312 BCE), facilitant les relations commerciales internationales avec partenaires grecs et syriens.
Contrairement aux astronomes babyloniens ou égyptiens disposant d'instruments sophistiqués et d'observatoires permanents, les Nabatéens pratiquaient une astronomie essentiellement visuelle, adaptée à leur mode de vie semi-nomade et commercial. Les conditions naturelles compensaient largement l'absence d'instruments. Des navigateurs expérimentés pouvaient estimer leur latitude à quelques degrés près en observant hauteur de l'étoile Polaire ou culmination d'étoiles connues au méridien.
| Période | Contribution scientifique | Précision ou caractéristique | Source ou site |
|---|---|---|---|
| 4ᵉ siècle BCE | Établissement de Pétra | Choix d’un site favorable aux observations astronomiques | Pétra, Jordanie |
| 3ᵉ-1ᵉʳ siècle BCE | Routes caravanières stellaires | Navigation de nuit sur plus de 2 000 km à l’aide des étoiles | Déserts d’Arabie |
| 1ᵉʳ siècle BCE | Khazneh (Trésor de Pétra) | Façade alignée sur le lever du soleil au solstice d’hiver | Pétra |
| 1ᵉʳ siècle BCE - 1ᵉʳ siècle CE | Hauts-lieux astronomiques | Sanctuaires en altitude servant d’observatoires pour phénomènes célestes et calendaires | Pétra et régions nabatéennes |
| 1ᵉʳ siècle BCE - 1ᵉʳ siècle CE | Deir (Monastère) | Orientation vers le coucher du soleil équinoxial, marquant transitions saisonnières | Pétra |
| Période nabatéenne | Calendrier luni-solaire syncrétique | 12 mois lunaires avec intercalation, intégrant influences babyloniennes, arabes et grecques | Inscriptions nabatéennes |
| Période nabatéenne | Système de stations lunaires | Division du ciel en 28 stations correspondant au cycle sidéral lunaire, précurseur des manzils islamiques | Tradition arabe préislamique |
| Période nabatéenne | Culte de divinités astrales | Triade Soleil-Vénus-Lune (Dushara, al-'Uzza, Manāt) reflétant importance cosmologique | Inscriptions et temples nabatéens |
| Période nabatéenne | Navigation nocturne par étoiles | Utilisation de Polaris, Sirius, Canopus, Orion pour maintenir cap précis | Pratique caravanière |
| Période nabatéenne | Qasr al-Bint (Temple principal) | Axe est-ouest aligné sur levers/couchers équinoxiaux | Pétra |
| Héritage post-nabatéen | Transmission à l’astronomie arabe islamique | Stations lunaires, noms d’étoiles arabes et techniques de navigation désertique préservées | Tradition astronomique islamique |
Source : Brown University Petra Project et recherches archéoastronomiques.
Chez les Nabatéens, astronomie et astrologie étaient étroitement liées : les phénomènes célestes servaient à la fois d’observations scientifiques et de présages divinatoires.
Les prêtres nabatéens conjuguait leurs rôles religieux à une maîtrise astrologique, fixant les dates des fêtes, interprétant les présages célestes et guidant les rois dans leurs décisions importantes.
La tradition astronomique nabatéenne, florissante entre le 4ᵉ siècle BCE et le 1ᵉʳ siècle CE, connut un déclin progressif après l’annexion romaine en 106 CE.
Plusieurs facteurs contribuèrent à cette érosion :
Les instruments, inscriptions et monuments astronomiques tombèrent progressivement dans l’oubli. Toutefois, certains éléments techniques et noms d’étoiles furent transmis aux traditions astronomiques arabes postérieures, contribuant indirectement à l’astronomie islamique médiévale.