L'astronomie indienne trouve ses racines dans les Vedas, textes sacrés composés entre 1500 et 500 BCE. Le Rigveda, le plus ancien, contient déjà des observations du mouvement solaire, des phases lunaires et des nakshatra (27 ou 28 constellations lunaires) servant de repères calendaires. Ces divisions du zodiaque lunaire, essentielles au calendrier hindou, témoignent d'une observation systématique du ciel dès l'époque védique.
Les Vedanga Jyotisha (vers 1400-1200 BCE), textes auxiliaires aux Vedas, constituent les premiers traités d'astronomie indienne. Ils décrivent les cycles solaires et lunaires, établissent des règles pour déterminer les moments propices aux rituels (muhurta), et introduisent le concept de yuga (ère cosmique). L'année védique comptait 360 jours, divisée en 12 mois lunaires avec des mois intercalaires pour ajuster le calendrier aux saisons.
N.B. :
Le zodiaque lunaire indien (nakshatra) divise le ciel en 27 ou 28 segments basés sur le trajet mensuel de la Lune, contrairement au zodiaque solaire occidental à 12 signes. Chaque nakshatra correspond à environ 13°20' de longitude céleste, et la Lune traverse un nakshatra par jour (cycle de ≈27,3 jours). Ce système, attesté dès le Rigveda, permettait de calculer les calendriers lunaires et de déterminer les moments propices aux rituels avec une précision journalière.
À partir du IVe siècle CE, l'astronomie indienne connaît une révolution mathématique avec les Siddhantas, traités scientifiques combinant observations et calculs trigonométriques. Cette période marque le passage d'une astronomie rituelle à une science mathématique précise, intégrant influences grecques et développements originaux.
Aryabhata (476-550 CE), dans son Aryabhatiya, propose des avancées majeures : il calcule la circonférence terrestre à 39 968 km (valeur réelle : 40 075 km), soit une précision remarquable. Il décrit la rotation de la Terre sur son axe, explique les éclipses par l'ombre de la Terre sur la Lune (et non par l'intervention du démon Rahu), et développe des méthodes trigonométriques incluant des tables de sinus.
Brahmagupta (598-668 CE), dans le Brahmasphutasiddhanta introduit des concepts mathématiques fondamentaux, notamment l'utilisation systématique du zéro comme nombre à part entière et les règles de l'arithmétique négative. Il établit des formules pour calculer les positions des planètes avec une précision de l'ordre de quelques minutes d'arc.
N.B. :
L’invention du système décimal et de l’usage du zéro par les savants indiens (vers le Ve siècle CE) a profondément changé la manière de calculer. Cette innovation s’est ensuite diffusée vers le monde arabe puis en Europe, et elle forme aujourd’hui la base de nos nombres et de nos calculs.
Les astronomes indiens développèrent des modèles géométriques sophistiqués pour prédire les positions planétaires. Les astronomes indiens utilisaient des cercles excentriques (où la Terre n'occupe pas le centre du mouvement planétaire) et des équants modifiés (point fictif autour duquel la vitesse angulaire apparaît uniforme). Contrairement au système ptolémaïque basé sur des épicycles complexes (petits cercles tournant sur de grands cercles), le modèle indien privilégiait une approche géométrique plus simple mais tout aussi précise.
Bhāskara II (1114-1185 CE), dans son Siddhanta Shiromani, atteint le sommet de l'astronomie mathématique indienne. Il calcule la durée de la révolution sidérale de la Terre avec une précision extraordinaire : 365,2588 jours (valeur moderne : 365,2564 jours). Ses travaux sur le calcul infinitésimal précèdent de plusieurs siècles ceux de Newton et Leibniz.
| Nom | Période | Contributions majeures | Œuvres principales |
|---|---|---|---|
| Lagadha | vers 1400-1200 BCE | Auteur présumé des Vedanga Jyotisha ; établit les cycles luni-solaires et les règles calendaires védiques. | Vedanga Jyotisha |
| Aryabhata | 476 – 550 CE | Rotation de la Terre ; calcul de la circonférence terrestre ; explication rationnelle des éclipses ; trigonométrie (tables de sinus). Algorithmes de correction, approximations pour \(\pi\). | Aryabhatiya (499 CE) |
| Varahamihira | 505 – 587 CE | Compilation des connaissances astronomiques et astrologiques ; observations des comètes ; amélioration des tables planétaires. | Pancasiddhantika, Brihat Samhita |
| Brahmagupta | 598 – 668 CE | Utilisation du zéro ; arithmétique des nombres négatifs ; calculs précis des positions planétaires ; méthodes d'interpolation. | Brahmasphutasiddhanta (628 CE) |
| Bhāskara I | vers 600 – 680 CE | Commentaires sur l'œuvre d'Aryabhata ; approximations rationnelles des fonctions trigonométriques. | Mahabhaskariya, Laghubhaskariya |
| Lalla | vers 720 – 790 CE | Calculs d'éclipses améliorés ; observations des mouvements planétaires irréguliers. | Shishyadhivriddhida Tantra |
| Bhāskara II | 1114 – 1185 CE | Précision record pour la durée de l'année sidérale ; calcul infinitésimal précoce ; résolution d'équations diophantiennes. | Siddhanta Shiromani (1150 CE) |
| Madhava de Sangamagrama | vers 1340 – 1425 CE | Fondateur de l'école du Kerala ; séries infinies pour π et fonctions trigonométriques ; calcul différentiel. | Œuvres transmises par disciples |
| Nilakantha Somayaji | 1444 – 1544 CE | Modèle planétaire partiellement héliocentrique (planètes autour du Soleil, Soleil autour de la Terre) ; précession des équinoxes. | Tantrasamgraha (1500 CE) |
| Jai Singh II | 1688 – 1743 CE | Construction des observatoires Jantar Mantar ; instruments monumentaux en pierre (sextant géant, méridienne, cadrans) ; tables astronomiques révisées. | Zij-i Muhammad Shahi |
L'astronomie indienne illustre une synthèse remarquable entre rigueur mathématique et vision spirituelle. Contrairement à la rupture occidentale entre science et religion, la tradition indienne maintint un dialogue constant entre observation précise et réflexion métaphysique.
Le corpus indien a circulé vers l’ouest et l’est : traductions et échanges avec le monde islamique, invention du zéro et du système de numération décimal, transmission de méthodes trigonométriques, et plus tard, conservation d’un art de calcul algorithme-centré qui a nourri la pratique astronomique régionale. La tradition indienne illustre une forme d’ingénierie mathématique appliquée au ciel : tables, algorithmes, instruments, un modèle technique de science appliquée.
Références :
– Pingree, D., Jyotiḥśāstra: Astral and Mathematical Literature, Harrassowitz (1981). – Kak, S., The Astronomical Code of the Ṛgveda, Oklahoma State University (2000). – Plofker, K., Mathematics in India, Princeton University Press (2009). – Sarma, K.V., A History of the Kerala School of Hindu Astronomy, Vishveshvaranand Institute (1972). – Sharma, V.N., Sawai Jai Singh and His Astronomy, Motilal Banarsidass (1995).