L'exemple canonique d'un système dynamique complexe affichant une criticité auto-organisée est celui du tas de sable. Les grains de sable, poussés par le vent ou ajoutés lentement, s'accumulent sur le tas qui grandit petit à petit.
Le tas de sable va s'élever inexorablement jusqu'au moment où la pente atteint une valeur critique. Au premier seuil critique, plusieurs petites avalanches peuvent se déclencher - simples chutes de grains - mais la pente continue néanmoins à croître.
Au seuil suivant, une avalanche plus importante peut se produire, sans pour autant interrompre complètement la croissance de la pente. De façon plus rare, une avalanche massive survient, réajustant brutalement l'ensemble du profil du tas.
Ce comportement illustre comment un système soumis à un flux d'énergie faible mais constant peut s'autoréguler autour d'un état critique, caractérisé par des événements de taille variable. C’est précisément pour éviter ce phénomène rare mais inévitable que les artificiers déclenchent régulièrement de petites avalanches contrôlées en montagne, afin de réduire le risque d’un écroulement majeur.
L'effet d'avalanche est un phénomène de transformations physiques obéissant aux lois de la thermodynamique. Toutes les structures physiques répondent aux mêmes lois, car elles dissipent de l'énergie.
On constate que les systèmes physiques s'auto-organisent pour maximiser le flux d'énergie dissipée. Ils tendent tous à se maintenir en permanence au voisinage d'un point critique pouvant entraîner une brisure, jusqu'à retrouver un autre point critique.
Qu'il soit cosmologique, géophysique, biologique ou sociologique, le système s'ajuste à mesure qu'il évolue vers la criticité. Cet ajustement, imprévisible et chaotique, peut être invisible ou catastrophique. Les propriétés de ce processus sont celles des transitions de phase continues ; en dynamique non linéaire, on parle alors de bifurcation.
Effectivement, les effets d'avalanche produisent des bifurcations dans les structures physiques (galaxies, étoiles, planètes, eau, sociétés humaines, etc.), qui elles-mêmes peuvent provoquer des avalanches de bifurcations. Une bifurcation fait donc suite à une amplification de fluctuations ou à une rupture de symétrie, lesquelles peuvent entraîner d'autres bifurcations, et ainsi de suite. Ces cascades de bifurcations se retrouvent partout dans les phénomènes observables de notre environnement.
Plus les phénomènes d'avalanche sont petits, plus ils sont fréquents. Par exemple : les petits tremblements de terre sont quasi permanents ; ceux d'intensité moyenne sont plus espacés ; les plus forts le sont encore davantage, tandis que les séismes destructeurs restent rares. Ce comportement obéit à une loi dite en \(1/f\) (où \(f\) est la fréquence) : « L'énergie se dissipe en produisant des avalanches dont l'amplitude est inversement proportionnelle à la fréquence ». Cette remarque a été mise en lumière par Per Bak (1948-2002), physicien théoricien danois spécialiste des transitions de phase.
L'effet d'avalanche, aussi appelé "effet multiplicateur" ou "multiplication par avalanche", est un phénomène physique où un événement initial minuscule déclenche une réaction en chaîne qui produit des conséquences considérables.
N.B. : L'effet d'avalanche désigne aussi un phénomène multiplicateur dans le courant électrique à l'intérieur de matériaux qui, jusqu'au déclenchement, étaient de bons isolants. Cet effet peut se produire dans des semi-conducteurs ou des isolants solides, liquides ou gazeux. Lorsque le champ électrique dans le matériau devient suffisamment intense, il accélère les électrons ; ceux-ci, en percutant des atomes, libèrent d'autres électrons. Le nombre d'électrons libres croît alors rapidement, déclenchant une réaction en chaîne comparable à celle d'une avalanche neigeuse.
Parfois, l'ajout d'un seul grain ne fait presque rien. Parfois, il déclenche une avalanche de grande échelle. Contrairement à un fluide, l'énergie injectée (par exemple l'ajout d'un grain) est rapidement dissipée par frottement, mais l'organisation spatiale des contraintes conduit à des événements de grande amplitude (avalanches).
Le système s'auto-organise naturellement vers un état critique où il est exactement à la frontière entre stabilité et instabilité. Dans cet état, la distribution de la taille des avalanches suit une loi de puissance (beaucoup de petites avalanches, peu de très grandes). Il n'y a pas d'échelle caractéristique.
Cet état critique est un attracteur universel, un peu comme un point critique dans la thermodynamique des transitions de phase (e.g., point critique liquide-gaz). Le tas de sable devient un modèle pour étudier la criticalité dans des systèmes complexes bien plus vastes (tremblements de terre, krachs boursiers, écosystèmes).
Les expériences et simulations montrent que, pour certains protocoles d'alimentation lente, la distribution \(P(s)\) des tailles d'avalanches \(s\) suit souvent une loi de puissance : \( P(s) \propto s^{-\tau} \), avec un exposant critique \(\tau\). Cette loi exprime que les petites avalanches sont très fréquentes, tandis que des événements majeurs peuvent survenir sans échelle caractéristique.
Magnitude (Mw) | Nombre moyen par an | Commentaire |
---|---|---|
≥ 2 | ≈ 1 000 000 | Petits séismes, souvent imperceptibles |
≥ 3 | ≈ 100 000 | Faibles, rarement ressentis |
≥ 4 | ≈ 10 000 | Légers, peuvent être ressentis localement |
≥ 5 | ≈ 1 000 | Modérés, parfois destructeurs près de l’épicentre |
≥ 6 | ≈ 100 | Forts, dégâts possibles dans les zones habitées |
≥ 7 | ≈ 10 | Très forts, destruction sévère sur plusieurs dizaines de kilomètres |
≥ 8 | ≈ 1 | Séismes majeurs, effets globaux possibles |
≥ 9.4 | Extrêmement rare | Ex. : Sumatra, 26 décembre 2004, 227 898 morts |
Il faut bien avouer que la plus énorme avalanche de bifurcations connue est celle qui a donné naissance au Big Bang. Cette avalanche fut si gigantesque qu’elle doit être considérée comme un événement extrêmement rare dans l’histoire du cosmos.
Il y a environ 13,77 milliards d’années, la quantité de matière et d’antimatière dans l’Univers était exactement identique. Une question fondamentale demeure : pourquoi vivons-nous aujourd’hui dans un Univers constitué presque exclusivement de matière ?
Le système - c’est-à-dire l’Univers primordial - se trouvait sur un point critique, une fluctuation quantique, qui a basculé vers une bifurcation accordant un infime avantage à la matière sur l’antimatière. Cette rupture spontanée d'une symétrie fondamentale s’est produite durant les toutes premières fractions de seconde de l’Univers observable.
Cette avalanche initiale a entraîné d’autres avalanches : formation des protons et des neutrons, puis nucléosynthèse des noyaux légers, apparition des étoiles, structuration des galaxies, jusqu’à l’émergence de la vie et de l’être humain. Ces processus d’auto-organisation se poursuivent encore aujourd’hui, sous d’autres formes, à d’autres échelles.
Les travaux de Yoichiro Nambu (1921-2015), Makoto Kobayashi (1944-) et Toshihide Maskawa (1940-2021), récompensés par le prix Nobel de physique en 2008, ont permis d’expliquer l’existence de cette petite différence : la brisure spontanée de symétrie entre matière et antimatière, qui a rendu possible l’Univers tel que nous le connaissons.
Les avalanches de bifurcations ne se limitent pas aux phénomènes cosmiques : elles concernent aussi notre présent et notre avenir. Les changements climatiques, par exemple, constituent un système complexe qui pourrait franchir des points critiques : fonte irréversible des calottes glaciaires, perturbation durable de la circulation océanique, acidification massive des océans, etc. Ces basculements, analogues à des avalanches lentes mais puissantes, pourraient remodeler durablement les conditions d’habitabilité de notre planète.
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